Alejandro Amenábar Agora

Drame historique

Affiche de "Agora"

Note :
4/5
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Synopsis

Au IV siècle après Jésus-Christ, les chrétiens ont cessé d’être martyrisés et leur culte est désormais toléré. A Alexandrie, dans l’Egypte romaine, ils vivent aux côtés d’autres religions, le paganisme et le judaïsme, mais des tensions existent. C’est dans ce contexte, dans la grande bibliothèque de la ville, qu’enseigne Hypathie, philosophe, astronome et mathématicienne. Obnubilée par ses recherches, elle est aussi courtisée par deux hommes qui l’aiment sans retour : un de ses élèves et son esclave. Mais les tensions entre les trois cultes de la ville s’accroissent et virent à l’affrontement sanglant. Refusant de sacrifier sa liberté de pensée, Hypathie va tout tenter pour préserver le savoir de la bibliothèque ainsi que sa propre liberté. Quitte à le payer de sa vie.

Bande-annonce

Critique personnelle

Après Les Autres, film fantastique paru en 2001, et en 2005 Mar Adentro, drame poignant inspiré d’une histoire vraie et couronné par l’Oscar du meilleur film étranger, le nouveau film d’Alejandro Amenábar était fort attendu. Celui-ci, Agora, est à la surprise de tous un péplum. Un péplum qui conte l’histoire vraie d’Hypathie, femme méconnue de l’Histoire. Présenté hors compétition au festival de Cannes en 2009, le film, qui durait alors 2h30, reçut un accueil des plus mitigés. C’est une version écourtée de près d’une demi-heure qui est sortie en salles, Amenábar ayant sans doute tiré leçon des critiques cannoises et peaufiné Agora avant de le dévoiler au grand public.

Qui est Hypathie? Je l’ignorais avant d’entendre parler d’Agora. J’ai effectué quelques petites recherches avant de visionner le film, pour me familiariser avec cette femme injustement tombée dans l’oubli. Aussi pour pouvoir discerner la réalité historique et les aspects romancés de sa vie lors du visionnage du film d’Amenábar. Et c’est donc à la lumière de ce peu d’informations que j’ai pu constater qu’Agora retrace plutôt fidèlement le quotidien d’Hypathie et les événements qui ont rendu son destin si tragique. Certes, Amenábar a sans doute glissé ici et là quelques erreurs historiques mais n’étant pas une spécialiste, je ne m’y suis pas attardée. En revanche, je salue le fait qu’il a placé sa vision personnelle dans les pans de la vie d’Hypathie qui demeure obscurs aux chercheurs, tout en respectant l’Histoire. Ainsi, la légende dit qu’elle est morte vierge, à la quarantaine. Si le réalisateur a voulu romancer son film en incluant les personnages d’Oreste (l’élève et futur préfet) et de Davus (l’esclave révolté) comme les soupirants de la philosophe, il respecte la légende en faisant de leur amour un amour sans retour. Hypathie, prise dans ses travaux, ne prêtera d’attention poussée ni à l’un, ni à l’autre. Il en est de même pour la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie. De nombreuses hypothèses sont envisagées quant à ce qui a provoqué cette destruction, mais aucun historien n’en a validé une seule, faute de documents. Amenábar a choisi d’en imputer la cause aux fanatiques chrétiens, une raison tout aussi valable qu’une autre.

Revenons-en aux thèmes principaux du film, que l’on peut voir par le biais d’Hypathie, personnage principal. Il s’agit de l’obscurantisme religieux et de l’avilissement de la femme. Agora dénonce clairement les égarements qu’une foi aveugle et irréfléchie peut connaître. Le sujet est traité admirablement dans le sens où nul manichéisme n’est présent. Si la violence des chrétiens nouvellement tolérés est la plus présente à l’écran, ils ne sont pas les seuls. Païens et juifs vont, à un moment donné, montrer autant de cruauté et d’injustice. Mais, pour chaque culte, Amenábar présente aussi son côté lumineux : les païens et leurs philosophes, les juifs rappelant la judéité du Christ, les chrétiens et leur charité. Une façon de montrer que les religions, employées avec sagesse, peuvent avoir un bon rôle. Mais hélas, qu’il est aussi facile pour elles de sombrer dans le fanatisme à la suite de leaders trop charismatiques et à la foi aveugle… Dans ce contexte, seul le personnage d’Hypathie qui ne se réclame d’aucune religion (pas même le paganisme) apparaît comme le plus positif. Elle rappelle d’ailleurs qu’elle se doit de réfuter sans cesse ses convictions pour mieux avancer, ce qui est l’essence même de la philosophie : s’interroger.

Mais Hypathie est une femme. Une femme savante. Deux concepts antinomiques à l’époque. Femme, savante, et libre. De quoi accentuer la rage des fanatiques religieux, d’autant plus qu’elle est proche du préfet Oreste. Ils trouvent là un prétexte pour la condamner et dès lors le destin d’Hypathie est scellé. Amenábar filme sa mort en respectant la vérité historique à une exception près que je vous laisserai découvrir. Femme bafouée et fanatisme religieux, deux maux du IVe siècle, deux maux qui hélas font encore des ravages aujourd’hui. En ce sens, Agora mérite son titre (l’Agora était, dans l’Antiquité, un lieu public où beaucoup venait débattre leurs idées) puisqu’il amorce de nombreuses réflexions, sur cette époque passée mais aussi sur celle dans laquelle nous vivons aujourd’hui.

Techniquement, Agora n’est pas exempt de défauts, bien qu’il possède certaines originalités. La transition entre les deux parties, plutôt abrupte et maladroite, fait que le spectateur décroche un instant et doit faire l’effort de reprendre le train en route. Le renversement de l’image lors de la destruction de la bibliothèque témoigne du chaos qui va régner après que tous les volumen détenteurs du savoir antique auront été détruits (les volumen sont des rouleaux, ancêtres de nos livres reliés appelés codex). Cette destruction des documents n’est d’ailleurs pas sans rappeler les livres brûlés lors de la période nazie. Une autre originalité réside dans l’emploi régulier de vues de la Terre dans l’espace, couplées à celles, aériennes, de la foule enragée. Si, malheureusement, cet emploi de l’image éloigne le spectateur des événements (il se détache donc de ce qui peut arriver aux personnages principaux et risque de décrocher), pour ma part j’ai trouvé que cela soulignait bien deux points. L’obsession d’Hypathie pour l’astronomie au détriment de sa vie privée, d’une part, l’absurdité de toutes ces violences d’autre part. L’image de la Terre vue de l’espace et celle de la foule qui s’agite comme des fourmis est une façon pour Amenábar de rappeller qu’à l’échelle de l’Univers, nous sommes bien peu de chose.

Agora permet de réhabiliter une femme savante que l’Histoire a oublié tout en rappelant les maux du passé, hélas toujours présents. Un film qui amorce plusieurs pistes de réflexion et qui rend un bel hommage à la liberté de pensée, incarnée ici par Hypathie.

Un magnifique portrait de femme et d’Histoire.

Références

  • Acteurs : Rachel Weisz, Max Minghella, Oscar Isaac
  • Année : 2010
  • Durée : 2h06
  • Genre : Drame historique
  • Pays : Espagne, Etats-Unis

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