Dealer de Benedek Fliegauf

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Dealer

Synopsis

À Budapest, entrée dans l’univers d’un dealer et de ses déambulations, entre ses clients et de ses proches…

Critique personnelle

Ce qui frappe d’emblée c’est l’utilisation systématique d’un dispositif particulier qui détermine tout le film, fait de longs plans-séquences tournants, qui s’arrêtent rarement. Le résultat visuel est vertigineux, et provoque dans sa lancée des sensations troublantes qui empêchent ce système de n’être qu’un un effet de style, certes remarquable, mais gratuit. Le monde et les êtres qui le composent sont comme en flottement, constamment entre existence et disparition.

Cette présence des acteurs est acculée de tous côtés par le regard qui les cernes au fur et à mesure qu’il tourne autour d’eux, semblant ne rien vouloir dissimuler à l’œil. Combiné avec une intrigue refusant la plupart du temps le spectaculaire, on frôle parfois l’idée d’un naturalisme nouveau, qui donne au monde une consistance, mais avec ce paradoxe d’une réalité très forte, en même temps qu’un espace très théâtralisé – par le dispositif tournant – et un espace ou temps complètement déconstruits.

Dealer -  extrait

Le cadre est large et englobe les lieux, les bâtiments et les protagonistes comme un tout. Le choix des plans séquences prolonge ce dispositif : limiter le nombre de coupes fait saisir le temps dans toute sa durée, son âpreté voire dans toute sa longueur ; et le flottement achève une nouvelle fois l’idée stéréotypée qu’ils seraient plus « naturels ». Si dans la majorité des scènes, l’aspect hypnotique est fascinant, il peut malheureusement tout aussi prendre le sens de soporifique dans deux-trois passages, dont la scène finale qui en fait trop et n’en finit pas. Léger bémol donc mais dans l’ensemble ce principe fonctionne bien et ravira les amateurs de films contemplatifs par sa singularité.

Le mouvement lent et régulier s’accompagne d’un certain étourdissement qui permet à des passages de prendre une incroyable ampleur. Dans une séquence de shoot, il prend notamment le contre-pied de nombreux autres films montrant une scène de ce type : là où beaucoup morcellent à l’excès les étapes, à coups de gros plans successifs – Requiem for a Dream pour ne citer que lui – Dealer impose une lourde continuité, où le temps est pesant, indistinct. Le geste est naturalisé dans la durée, ni glamour ni misérable, anti-dramatisé en quelque sorte, s’inscrivant dans l’environnement d’un Budapest grisonnant.

Dealer - Extrait 2En plus du nouveau regard qu’apporte ce dispositif tournant, il imprime dans l’esprit du spectateur le motif entêtant de la spirale, motif visuel aux nombreuses possibilités symboliques ; spirale de la dépendance bien sûr, ou du héros lui-même. Sa spirale personnelle l’enferme d’un mouvement régulier au rythme de la dégénérescence de son rapport aux autres sur lequel il n’a que peu de maîtrise ; délaissant sa compagne, sans se rendre compte que son ex se sert de lui, ou que ses amis se confondent avec ses clients, avant de disparaître. La tendresse n’est pas absente de Dealer, mais elle se voit contrariée, ou ne rencontre personne pour y répondre.

Le mouvement incessant de l’image ne correspond presque plus aux personnages et devient un dispositif autonome qui ne dépendrait plus des événements ou des dialogues, détaché d’eux. Budapest déserte ressort désespérément froide, s’enfonçant dans un gris et vert inhumain qui colle aux tripes. Un ton âpre pour cette plongée dans un monde sans fard d’où émerge des visages luminescents, et ces spirales obsédantes. Tous deux ont de quoi hanter l’esprit de qui y a goûté.

Références

  • Acteurs : Felicián Keresztes, Barbara Thurzó, Anikó Szigeti, Edina Balogh, Lajos Szakács
  • Année : 2004
  • Durée : 2h40
  • Pays : Hongrie
  • Genre : Balade sous hypnose