Peter Weir Le Cercle des poètes disparus

Drame

Affiche du "Cercle des poètes disparus"

Note :
5/5
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Synopsis

En 1959, Todd entre à l’Académie Weton, l’une des institutions scolaires les plus réputées, les plus austères et les plus fermées des Etats-Unis. Cette année-là, un professeur de littérature pas comme les autres y fait également son entrée : John Keating. Il est bien davantage qu’un professeur de poésie et enseignera à ses élèves comment prendre en main leur vie.

Critique personnelle

Peter Weir réalise Le Cercle des poètes disparus (Dead Poet Society) peu après Witness (1985) et Mosquito Coast (1986). Si Witness, dont l’histoire se déroulait dans une communauté Amish lui avait valu deux Oscars, Mosquito Coast avait au contraire été un échec tant commercial qu’au niveau des critiques. Avec Le Cercle des poètes disparus, Peter Weir retrouve un engouement populaire important. Il remporte même l’Oscar du meilleur scénario et le César du meilleur film étranger en 1990.

Le Cercle des poètes disparus est une véritable ode à l’enseignement dans son essence même, à savoir : transmettre des connaissances pour permettre à l’élève d’avoir en main tout ce dont il aura besoin dans sa vie d’adulte. Ici, le contraste flagrant entre la rigidité conservatrice de l’académie Weton et la sereine décontraction de John Keating démontre le profond décalage qui existe entre une éducation rigoriste, où l’on s’emploie à bourrer le crâne des adolescents pour qu’ils suivent ensuite la voie tracée par leurs familles, et les méthodes de John Keating. En enseignant la poésie, Keating désire bien entendu transmettre à ses élèves des notions telles que l’amour de l’art et de la littérature. Mais il souhaite aussi les ouvrir à l’importance de la liberté, l’importance de suivre sa propre voie, celle que nous dicte notre coeur et notre âme, sans tenir compte des désapprobations.

Keating (Dead Poet Society)

Ce décalage ne se fait pas sans heurts. Les méthodes novatrices de John Keating sont mal vues par ses supérieurs et ses collègues. Excepté une personne : le professeur de latin qui, d’abord intrigué, réalisera par la suite que les méthodes d’enseignement de Keating sont bien plus épanouissantes et les appliquera à son tour, à sa manière, lorsque Keating sera chassé de l’académie. C’est là que l’on voit que ce professeur pas comme les autres ne se contente pas de faire évoluer ses élèves, mais qu’il change ceux qui le côtoient aussi, ceux qui ont l’ouverture d’esprit suffisante pour accepter ce changement.

Qu’en est-il de ses élèves, justement ? Le film suit le parcours d’une poignée d’entre eux, un groupe d’adolescents comme les autres, appliqués à leurs études pour plaire à leur famille mais qui profitent de la moindre occasion pour s’amuser : fabrication d’une radio artisanale pour capter une station de musique rock n’roll (rappelons qu’à l’époque l’apparition de ce nouveau courant musical avait choqué nombre d’esprits bien-pensants), tentatives d’approche de filles (absentes, puisque nous somme dans une école de garçons), insubordination… Mais, bloqués comme ils sont sous le joug et de leurs parents et de l’école, ils ne peuvent pousser bien loin ces actes.

Lorsque Knox se rend à l’école de Chris, dont il est tombé amoureux, on ne peut que constater un décalage quasi temporel entre les deux écoles. Weton, toute en pierre, est grise, austère, carrée, perdue au milieu des brumes et de la campagne. Silencieuse, seule la cloche y résonne pour y marquer l’heure des cours ou de la fin de la récréation. A l’opposé, Knox débarque dans une école pleine de vie, de couleurs et de mouvements, où résonne une musique de fête après un match . Ces deux écoles totalement opposées montrent que l’on est à une époque charnière. Weton symbolise le passé rigoriste, qui refuse obstinément d’aller de l’avant et reste attaché à ses traditions jusqu’à l’entêtement le plus aveugle. L’école de Chris symbolise la modernité, la liberté, et même la libération sexuelle à venir, comme le montre la fête chez Chet, le petit ami de Chris, où des couples s’embrassent voire poussent le jeu plus loin, dans des recoins de la pièce, au vu et au su de tous.
Knox, grâce à John Keating, trouve en lui les ressources pour oser aborder Chris alors qu’elle est déjà fiancée. Charlie, déjà enclin à l’insubordination, poursuivra ses actes de rébellion, comprenant que c’est là sa propre liberté qu’il se crée. Deux autres garçons sont particulièrement mis en lumière : Neil et Todd.

Keating et Todd (Dead Poet Society)

Le frère aîné de Todd fut un brillant étudiant de Weton. On ne le voit jamais, on ignore son nom, mais sa présence plane dès le départ. Todd se sent étouffé par ce frère brillant, comme s’il ne possédait pas d’identité propre, et étouffe donc sa propre personnalité. Effacé, réservé, il demeure en retrait. Mais Keating est un bon professeur. Enseigner, ce n’est pas que transmettre. Enseigner, ce n’est pas que donner des clés pour grandir. Enseigner, c’est aussi découvrir les richesses de ses élèves et leur apprendre à les exploiter. Keating procédera ainsi avec Todd, lui révélant qu’il possède des qualités et qu’il ne tient qu’à lui de s’en servir. Et il y réussit. Car à la toute fin du film, c’est Todd, le si soumis et si timide Todd, qui lancera l’adieu à Keating en grimpant le premier sur son bureau, défiant l’autorité du directeur pour rendre hommage à celui qui l’a libéré de sa réserve.

Neil face à son père (Dead Poet Society)
Le second garçon marqué profondément par l’enseignement de Keating est Neil Perry. Eduqué d’une main de fer par son père, homme autoritaire qui ne tolère aucun manquement aux règles qu’il fixe, Neil n’a aucune échappatoire. Mais lorsqu’il se découvre une passion pour le théâtre et obtient le rôle de Puck dans la pièce Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, Keating l’y encourage. Car pour Keating, Neil vient de trouver là sa voie et rien n’est plus naturel pour lui que de pousser quelqu’un sur la voie que son coeur a choisie. Il n’en est pas de même pour le père de Neil. Découvrant la vérité le soir de la pièce, et bien qu’il puisse y voir que son fils possède un indéniable talent, il reste enfermé dans ses convictions et condamne le garçon à passer le reste de ses études dans une école militaire. Pour Neil, c’est la fin. Il sait qu’il ne possède pas d’ échappatoire. Et, plutôt que de se soumettre à un destin qui ne correspond pas au désir de son être profond, il choisira la fuite suprême. La mort.

Dès lors, le destin de Keating est joué. Il est tenu responsable de la mort de Neil et renvoyé. Pour le directorat de Weton, le suicide de Neil est bien la preuve que seules les méthodes d’enseignement traditionnelles sont valables et que toute innovation provoque des tragédies. Mais deux scènes prouvent que lentement, doucement, le changement est à l’oeuvre, et que l’enseignement de Keating a porté ses fruits de façon positive également. Il y a tout d’abord le professeur de latin, dont je parlais plus haut, qui change ses méthodes d’enseignement. Et il y a la scène finale que souligne la musique impétueuse et forte de Maurice Jarre. La scène où, Keating ayant récupéré ses effets dans la salle de classe, s’apprête à partir. Mais voici que Todd grimpe sur son bureau pour lui offrir un dernier hommage. Et voici qu’un autre l’imite. Et encore un autre. Et encore un… Jusqu’à ce que la moitié de la salle soit debout sur son pupitre, regardant leur ancien professeur, ignorant les cris du directeur qui tente de rétablir l’ordre. Et dans leurs yeux, il y a la certitude que personne ne leur dictera plus quoi faire et qu’ils savent désormais que le maître de leur vie, c’est eux-mêmes. Keating le leur a appris. Seule une poignée d’élèves restent assis, tête baissée, honteux de leur conformisme et de leur soumission. Mais Keating, voyant ces jeunes hommes déterminés et dressés de toute leur hauteur sur leurs bureaux, peut désormais partir apaisé. Si la mort de Neil représente pour lui un échec et un chagrin, cette scène d’adieu lui a montré que son enseignement fut réussi. Et qu’il est un professeur digne de ce nom, au sens noble du terme.

Mais c’est Le Cercle des poètes disparus lui-même qui est un véritable enseignement pour le spectateur. Et vous, faites-vous véritablement ce que votre coeur vous dicte ? Pensez-vous être maître de votre vie ou suivez-vous simplement la route que d’autres ont tracée pour vous ? Comme le dit Thoreau, et comme cela est répété plusieurs fois dans le film : « Je m’en allai dans les bois parce que je voulais vivre sans hâte. Je voulais vivre intensément et sucer toute la moelle de la vie. Mettre en déroute tout ce qui n’était pas la vie, pour ne pas découvrir, à l’heure de ma mort, que je n’avais pas vécu. »
Nul doute qu’après avoir vu ce film, vous aussi aurez bénéficié de l’enseignement de Keating. Vous aussi serez changé. Et vous aussi, vous vous demanderez si, à l’heure de votre mort, vous aurez effectivement accompli ce que vous rêviez accomplir et vécu ce que vous vouliez vivre.

Références

  • Acteurs : Robin Williams, Robert Sean Leonard, Ethan Hawke
  • Scénario : Tom Schulman
  • Année : 1989
  • Durée : 2 h 04
  • Genre : drame
  • Pays : Etats-Unis