L’argument
Enfants terribles et contes cruels. Ce recueil bilingue de poésies courtes nous emmène au cœur d’histoires tendres autant que méchantes, où l’on croise les destins ironiques et funestes d’une vingtaine de personnages enfantins tantôt attachants, tantôt repoussants, mais toujours estampillés bizarre.
La fille qui fixait, fixait, fixait gagne le concours des regards fixes, Ludovic, l’enfant toxique meurt de trop d’air pur, La fille faite d’ordures manque d’épouser l’éboueur du coin, L’enfant momie recèle une macabre surprise dans sa grosse tête ronde… sans parler de l’Enfant Huître et de sa Triste Fin éponyme.
Bienvenue dans une nouvelle facette de l’univers burtonien, qui n’en finit pas d’explorer le croisement des thèmes de l’Enfance et de l’Etrange. Chaque poème est illustré par l’auteur, et l’on savoure son style simple et efficace, sa potion magique inusable qui combine espoir et pourriture.
Ça commence comme ça…
« Stick Boy and Match Girl in Love
Stick Boy liked Match girl,
He liked her a lot.
He liked her cute figure,
He thought she was hot.
But could a flame ever burn
For a match and a stick ?
It did quite literally ;
He burned up pretty quick.
***
Brindille et Allumette amoureux
Brindille aimait bien Allumette,
Il l’aimait vraiment beaucoup.
Il adorait sa jolie silhouette,
Et il la sentait chaude comme tout.
Mais le feu de la passion peut-il être
Entre une brindille et une allumette ? Eh bien
Oui, à la lettre :
Il flamba comme rien.»
Le grain de sable
Pour les collectionneurs fous, certains personnages du recueil existent en figurines dans les packs « Tragic Toys ».
Avis personnel
La triste fin… est un recueil sur les enfants mais pas pour eux. Une solide dose de second degré est souhaitable pour apprécier ces comptines morbides, qui profitent de leur narration classique pour mieux briser l’image d’Epinal du monde de l’enfance.
Sans en avoir l’air, Burton nous plonge (à nouveau) dans les méandres de la solitude, de l’exclusion, voire d’une certaine inhumanité, tout en magnifiant ses bambins tragiques par le dessin et le conte. Ainsi le cynisme n’enlève rien à l’atmosphère onirique de l’ensemble, au contraire, la richesse de ces poésies réside dans le contraste permanent entre pathétique et émouvant. L’ambiguïté, la synthèse tragi-comique, prenant leur écho dans les dessins pseudo-naïfs de l’auteur, sont encore dédoublées dans la version française, puisque la présentation bilingue offre l’opportunité de goûter le texte en anglais, et de le lire à sa guise.
Histoires pour rire jaune plutôt que leçon de choses macabre, La Triste Fin..., même après le succès total de Burton, et le risque toujours présent de basculer vers le consensuel, reste un ouvrage atypique, dérangeant, politiquement incorrect, une bouffée d’air… vicié.
Sur le mur
Jean Cocteau, Les Enfants Terribles, illustration de couverture, 1925.
Gramophone
Danny Elfman, Edward Scissorhands, B.O.F.
Dans la même veine…
Le visuel, les rimes et l’atmosphère de La Triste Fin… ne manqueront pas de rappeler le cadre de Nightmare Before Christmas, et son défilé de personnages cauchemardesques et attachants. Difficile de ne pas penser aux trois petites terreurs Am, Stram et Gram, même si, ici, les enfants monstrueux donnent davantage dans le tragique.
Par ailleurs, la comparaison peut surprendre, mais on retrouve un peu de ce ton acide et imaginaire, de façon moins macabre et encore plus comique, dans la mordante BD Calvin & Hobbes de Bill Watterson, où Calvin, gosse de six ans infernal et génial, s’invente chaque jour un monde fantasmatique, et avec son tigre Hobbes (vivant ou pelucheux, c’est selon les cases et la parentale présence), repeint le monde à ses couleurs, d’une bonne couche d’égocentrisme assumé et de philosophie surréaliste…
A propos de Tim Burton
L’histoire de Tim Burton commence en 1958, à Burbank, Californie. De son enfance banlieusarde jusqu’à l’ombre des studios hollywoodiens, on retient une solitude certaine et une passion précoce pour les vieux films d’horreur de la Hammer.
Formé puis employé dans la galaxie Walt Disney, où il s’ennuie à mourir sur la préparation de Rox & Rouky, et où ses idées pour Taram et le Chaudron Magique ne sont pas retenues (si seulement…), c’est avec son premier court-métrage d’animation Vincent (1982), brillant hommage à Vincent Price et Edgar Poe, que le jeune Burton démarre une foisonnante carrière de cinéaste, imposant son univers alors unique et poétique, ses contes fermés et pourtant touchant le plus grand nombre…
Sa filmographie bien connue, impressionnante, n’en est pas moins cohérente et poussée, depuis les Batman (1988) et Batman Returns (1992), qui ont totalement renouvelé les codes du genre, jusqu’au récent et superbe Corpse Bride (Les Noces Funèbres, 2005), second film d’animation en stop-motion après le cultissime Nightmare Before Christmas (L’Etrange Noël de mr Jack, 1993), en passant par le fantasque Beetlejuice, l’archétypal Edward Scissorhands (Edward aux Mains d’Argent, 1990), le sublime Sleepy Hollow (1999), le bucolique Big Fish (2003) ou le très sucré Charlie and the Chocolate Factory (Charlie et la Chocolaterie, 2005).
On passera sur quelques films en demi-teinte comme Ed Wood (1994), Mars Attacks (1996) ou le décevant Planet of the Apes (2001), remake un peu mécanique de la mythique Planète des Singes.
Ses films composent peu à peu un Pays Imaginaire très particulier, curieux et rebelle, identifiable au premier coup d’œil et malgré tout sachant se renouveler, et surprendre encore par une constante maîtrise de son sujet, une perpétuelle amélioration visuelle et technique, et des collaborations fidèles et fructueuses (on pense à Danny Elfman, le compositeur de toujours, à Johnny Depp, l’acteur aux mille talents, décrit par Tim Burton comme son « alter ego »).
Le monde onirique burtonien, c’est une recette maintenant bien éprouvée, une renommée mondiale en dépit de — ou grâce à — sa singularité à contre-courant des mentalités pastels (à l’image des pavillons de banlieue d’Edward…), une palette visuelle immédiatement reconnaissable, un perfectionnisme technique indéniable et payant, et un grand paradoxe : du gamin de banlieue au réalisateur adulé, Burton engage dans ses œuvres sa part d’ombre, son cynisme rêveur, et connaît le plus grand des succès dans un monde qui n’est pas fait pour lui — mais pour qui est-il fait…
Créateur, dessinateur, conteur, ce sont ces dons si précisément utilisés au cinéma que l’on retrouve dans La triste Fin du Petit Enfant Huître & Autres Histoires.
Références
Titre original : The Melancholy Death of Oyster Boy and Other Stories
Editions 10/18, 1997, 122 pages
Liens et sources
Site officiel de Tim Burton (en construction depuis des lustres)
Les informations de cette chronique sont issues de deux sites de référence, ultra complets :
– le pilier timburtoncollective, en anglais
– et notre chouchou frenchie tim-burton.net, où on peut d’ailleurs voir quelques extraits du recueil (textes et illustrations).
C’est vraiment un livre a posséder et à lire pour tout passionné de Burton. Dans le même esprit il est sorti récemment « Billy Brouillard, Le Don de Trouble Vue » par Guillaume Bianco : plus « léger » mais l’univers devrait plaire aux *Burtoniens*!
l’univers de burton est hallucinant!!!
a l’ecrit ça ne doit pas etre triste !
Merci pour ce billet, que je ne découvre que maintenant. Je n’avais pas encore entendu parler de ce livre, en fait.
En revanche, j’avoue que la traduction du premier texte me fait un peu peur (et pas nécessairement dans un sens heureux…).
Mais je chipote, puisque c’est en bilingue :-)
D&D : Arf, je redécouvre moi aussi cette chronique que j’ai faite il y a quelques années, et la traduction susdite m’atterre, finalement. Je pense aujourd’hui que j’étais alors complètement farcie de cynisme et d’idolâtrie pour l’univers burtonien…
Maintenant que je travaille avec des enfants notamment, je ne me reconnais absolument plus là-dedans. Et pour tout dire je me mords bien les doigts de constater que ce tissu de clichés écrit par myself (« ouvrage atypique, dérangeant, politiquement incorrect », je ne devais pas avoir froid aux yeux pour aligner tant de perles, quand même) a été lu genre 1900 fois.
(Mais c’est curieux parce que je ne l’avais pas écrite dans cet ordre-là. Du coup les parties ne s’enchaînent pas, c’est inversé, mais enfin bon. Vu qu’habituellement je n’interviens plus, je n’ai pas vraiment de réponse).
Bref, tout ce que je puis dire est que je ne suis pas fière de ces mots écrits alors. Je constate que j’étais bien formatée, et que si j’avais été marquée par ce nécessaire travail du psychisme enfantin (métaboliser les histoires qui font peur, se familiariser avec son schéma corporel, exorciser les démons, un peu), je n’avais pas compris ce bouquin en ces termes, et surtout je n’avais absolument pas perçu le danger du cynisme, de la pulsion sadique qui rôde, et la stimulation -assez écœurante quand on y songe- des pulsions morbides sans aucun recul…
Ah, j’y vais fort mais je suis un peu dépitée de voir que j’étais bien stupide, je ne suis pas fière de moi sur ce coup-là…
Voilà voilà (donc tu ne chipotes point, de fait, tu viens de me renvoyer un miroir très instructif sur moi-même, thanx pour ça :) )
Je me permets de mettre mon grain de sel dans votre échange… :-)
Nienna, je te trouve un peu dure avec toi-même ! Que tu interprètes différemment ce bouquin aujourd’hui, deux ans et quelques après en avoir écrit la chronique, c’est inévitable !
Une chronique est forcément ancrée dans le temps et dans l’histoire personnelle de la personne qui l’a écrite ; idem pour une oeuvre, qui a des résonances différentes pour chacun, mais aussi, en soi, à différents moments de sa vie.
Tu parles de « stupidité », faut quand même pas pousser Mémé dans les orties ^^;
Aie un peu d’affection pour la Nienna que tu étais alors, et pour son regard si particulier.
Si d’aventure tu souhaites publier une mise à jour de cette chronique, ou remettre à l’endroit les paragraphes qui selon toi ont été inversés, n’hésite pas à me contacter par email :-)
Oui c’est vrai je ne me suis pas loupée ! ^_^ En fait j’ai eu une sensation bizarre de ne pas me reconnaître (comme quand parfois, on ne sait pourquoi, on passe devant un miroir et on croit voir le visage de quelqu’un d’autre, brrr). Mais tu as raison, cet article est ancré dans une période, complètement, et l’état d’esprit que j’avais alors…
C’est une idée intéressante de penser à une mise à jour, ou quelque chose comme ça pour mettre en perspective, je vais y réfléchir :)
Bonsoir,
Merci beaucoup pour ces réponses. Cela soulève beaucoup de choses qui m’intéressent.
Il est parfois très violent de relire ce que l’on a écrit ne serait-ce que deux ou trois ans plus tard. Le web, lui, dans son organisation même a plutôt tendance à gommer le temps, son travail. Même sur les blogs ce n’est pas toujours évident. J’ai d’ailleurs souvent tendance à reprendre les blogs qui m’intéressent depuis le début, ou tout comme. Les blogs qui m’intéressent révèlent souvent des chemins d’ailleurs, sauf peut-être dans le cas de gens ayant commencé relativement tard dans leur vie.
Bref, je trouve à la fois intéressantes les traces d’origines et les mises en perspective. Bon courage si tu en fais une, Nienna, car ce n’est jamais simple :-)
Mais je suis d’accord aussi avec kReEsTal, il faut se garder un peu d’affection (pas toujours simple non plus :-))), l’on est souvent plus indulgent avec autrui, je crois )
Pour en revenir à Burton, et aux questions du cynisme, du sadisme, je ne le connais pas assez, mais en me référant à ces films et à ce que je lis du livre ici et de l’écho d’alors, je l’imagine dans la catégorie livre d’enfances pour adultes, je sais pas… faudrait inventer un mot !