L’argument
Le thème de l’ouverture sous la plume de seize écrivains. Ouverture à quoi? A qui? Comment? Chacun a sa vision des choses et nous la fait partager dans une histoire oscillant entre mondes réel et imaginaires, entre passé et futur. Les passages s’ouvrent chacun leur tour sur un univers différent.
Ça commence comme ça
« Ouvre-toi, gentil livre… », riait l’enfant.
La nuit était tombée. La veilleuse bleue allait prendre ses fonctions. Désormais, il lui incomberait de relayer le jour pour qu’Hugo distingue ses bras, pour qu’il retrouve facilement son doudou, si d’aventure la nuit les séparait.
Le garçonnet rebondissait plusieurs fois sur le matelas – « Ça suffit, Hugo, disait maman, tu sais bien que c’est mauvais pour les ressorts ». Enfin, le petit corps blanc et ferme se glissait sous la couette.
Et chaque soir, maman s’asseyait sur le bord de son lit.
« Ouvre-toi, gentil livre… », répétait l’enfant.
Avis personnel
Seize nouvelles signifient forcément que l’on aura nos préférées.
J’ai ainsi littéralement adoré rire grâce à l’humour divin de Don Lorenjy dans Suzanne on line, traverser encore et encore le miroir troublant des Miroitements, bien accrochée au bras de Mickaël Fontayne, faire partie des quarante voleurs de Jassîm ibn Menollah, victime des statistiques et entasser des trésors fraîchement volés dans la grotte récalcitrante de Timothée Rey, découvrir qui est L’Autre de Livia Galeazzi et sauter dans le vide avec Anthelme Hauchecorne puisque ça participe d’une Logique d’ensemble.
Par contre j’ai eu beaucoup plus de mal à rentrer dans certaines autres, comme Les larmes rouges de Saholy Gonga, sans doute parce que j’ai bien du mal à m’identifier, ou à me sentir concernée par les malheurs d’une parisienne fêtarde cocaïnée jusqu’à l’os; Tsuyan de Nicolas Cluzeau, qui est parti un peu trop loin dans la taïga pour que j’arrive à le suivre le temps d’une nouvelle; ou bien encore Cinq fois de Fred Le Berre, dont je serais bien incapable de dire un mot tellement je suis passée à côté de l’histoire. Il faudra que je retente une lecture, un jour prochain.
D’autres m’ont plu autant que laissée perplexe. Une en particulier: L’Apocalypse selon Huxley de Jérôme Noirez. Une nouvelle agréable à lire, une histoire étrange qui se laisse suivre, une écriture fluide, mais c’est plus fort que moi, dès qu’une bande de jeunes se drogue, part en trip et couche avec tout ce qui bouge (bon j’exagère sur la partie sexuelle, ça n’est pas exactement ce qui se passe dans cette nouvelle, mais ça y ressemble), ça me rappelle sournoisement Sur la route de Jack Kerouac, que j’ai détesté de tout mon petit cœur de pierre, et je suis prise d’une envie soudaine de faire sauter des cervelles. Mais je pense qu’il s’agit là d’un problème interne à moi-même et que l’auteur n’est en rien responsable de ce débordement de violence. Ne lui en tenons donc pas rigueur et passons.
Toutes les nouvelles commencent par « Ouvre-toi », et il est intéressant de se rendre compte comment d’un auteur à l’autre, à partir des deux mêmes mots, les histoires peuvent partir dans toutes sortes de directions. Je regrette un peu que beaucoup d’entre elles commencent par « Sésame, ouvre-toi » quand ça n’est pas particulièrement nécessaire. Parfaitement intégrée dans certaines de ces histoires, cette expression très connue devient en quelque sorte « lassante » lorsqu’elle est utilisée à tout va et sans qu’il y en ait véritablement besoin. Celles qui n’utilisent qu’un simple « ouvre-toi » pour débuter s’en sorte aussi bien que les autres.
Cependant dans l’ensemble, pas assez de points négatifs pour se priver d’une lecture aussi riche et variée, mêlant les genres (science-fiction, fantasy, spirituel, …) et les qualités d’auteurs qu’il nous faudra suivre au gré de recueils et d’anthologies afin de retrouver le plaisir de les suivre dans des aventures loufoques ou poétiques. De plus, l’ordre des nouvelles me semble particulièrement bien choisi, le cheminement de l’enfant découvrant les livres jusqu’à nos descendants fuyant le monde est d’une justesse épatante.
Le grain de sable
Ouvre-toi est la première anthologie, mais également le premier livre des éditions Griffe d’encre. Un thème parfait pour mettre un pied dans l’imaginaire.
Sur le mur
A l’instar de la couverture de cette anthologie, une chrysalide illustre parfaitement le thème de ces histoires.
Gramophone
Devendra Banhart ~ I feel just like a child, parce que s’ouvrir, c’est un peu être comme un enfant qui découvre tout pour la première fois.
A propos de Magali Duez
Magali Duez a mené sa barque dans divers domaines, mais toujours avec un livre sous le bras. Après avoir créé ou participé à des forums de lecteurs passionnés, comme Le Coin des lecteurs et Parchemins et traverses, elle a fini par accoster dans l’édition, en plus d’être elle-même auteure de nouvelles. Espérons qu’elle reste à présent sur cette voie.
Dans la même veine
Si vous avez aimé cette anthologie, vous aimerez certainement aussi l’anthologie Emblèmes n°14 sur Les Portes (éditions de L’Oxymore, 2005).
Si vous avez plus particulièrement aimé la nouvelle d’Anthelme Hauchecorne, vous devriez essayer le roman On est toujours trop bon avec les femmes de Raymond Queneau (Folio). L’humour tranquille de la nouvelle m’a rappelé le style de cette histoire délirante et superbement écrite.
Références
- Éditions Griffe d’encre, 2007, 267 pages
- Illustration de couverture: Maeva Pierre
Liens
La revue de presse d’Ouvre-toi, sur le site de Griffe d’encre
Quoi ? L’apocalypse selon Huxley vous donne envie de ne faire sauter que des cervelles ? Avec du beurre et en persillade alors !
Ce texte est mon meilleur souvenir de l’antho, une rigolade et régalade qui me secoue encore les zygos par nuit de pleine lune. Non, c’est toute la littérature de genre qu’il faut faire sauter dans la poêle à frire de Noirez.
Merci pour cette chronique (ta façon de parler de ton ressenti est vraiment colorée ! J’adore !)
C’est drôle, Tsuyan m’avait beaucoup plu. Mais mes préférés sont Le goût du miel et La petite fille au coeur de marbre, ainsi que les 40 voleurs revisités, très drôle ! Le texte de Noirez m’avait posé problème aussi mais au final je l’ai trouvé humoristique à sa manière, même si c’est très second degré. Chouette anthologie, en tout cas !
@Don Lo, Oui j’ai la même recette pour les cervelles :D …Non mais je me rends compte que c’est un texte vraiment bien écrit, cette apocalypse, c’est juste mon blocage sur « les drogués en vadrouille » que je n’arrive pas à dépasser.
@Lullaby, ravie que ça te plaise, et j’ai également trouvé très prenant et bien « traité » (le mot est super vilain mais je ne trouve rien d’autre là de suite) le thème de La petite fille au cœur de marbre, même si au final mon top 3 serait plutôt Suzanne on line/Jassim ibn Menollah, victime des statistiques/Logique d’ensemble.
Tsuyan, je crois que ce n’est pas la faute du texte, c’est juste que, bien au chaud dans mon lit, j’étais plus que réfractaire à un voyage taïgatique, et je n’ai pas réussi à rentrer dedans.
Je te rejoins bien volontiers sur ta conclusion!
Juré, la prochaine fois j’écris une novella qui se déroulera sous les tropiques. Cocktails et requins à gogo ! :D
Mais si je la lis au boulot en plein hiver, je serai encore en galère. Faut que je trouve des nouvelles à climat tempéré, ça passe partout. :D
Ceci dit, je suis pour une novella à requins! Peut-on avoir aussi des raies et des tortues marines? (sans vouloir abuser…) S’il y a tout plein d’animaux que j’adore, qu’importe la saison, je devrais m’en sortir…
Chiche.
Je relève le défi.
Ouh pinaise! (mon côté Homer Simpson) Me voilà bien alléchée! J’ai grand hâte. :D