Michel Villar La femme-ciseaux

Parcelles de sombre étrangeté

Couverture de "La Femme-ciseaux" de Michel Villar

Note :
4/5
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L’argument

Des hommes font un étrange usage du cadavre d’une femme qui les encombre (La Femme-Ciseau), une correspondance à travers le temps révèle une même histoire d’amour contrariée (Fleurettes), de mystérieux crimes secouent une ville tandis qu’un dieu d’un genre nouveau tente de se trouver des adeptes (La Quadrature du cercle), un homme fait un rêve étrange (ou est-ce la réalité?), où un Soleil noir et une Lune blanche fusionnent tandis qu’Enkor, un dieu, fait l’objet d’un culte (Soleil noir pour Lune blanche)

ça commence comme ça

Aide-moi à naître

De mon vivant je n’ai vécu
Que des instants qui ne sont plus.
Une enveloppe faite d’éther
Remonte le temps
Mais jamais ne se construit.

Un silence pour quatre soupirs,
Une ronde d’idées noires
Toutes de blanches vêtues,
Dans une pause éternelle
Sont ainsi suspendues.

Avis personnel

Michel Villar est co-fondateur et compositeur des Fragments de la nuit. Un habitué de l’obscurité, donc, mais si celle qu’il présente dans cet ensemble néoclassique revêt mélancolie, poésie et rêve brumeux, celle qu’il dévoile dans les pages de ce recueil tient plus du cauchemar étrange, de la tristesse mortifère et de l’horreur sourde.

Qualifier La Femme-ciseaux de recueil de nouvelles est quelque peu réducteur – l’ouvrage s’ouvre sur un poème et comporte quelques petits exercices de style étranges, nous invitant sur de nouveaux chemins, comme avec Pi. Qu’en est-il des nouvelles proprement dites, au nombre de six sur les neuf pièces au sommaire ?

La plus légère en est Fleurettes, jolie variation de l’auteur autour du thème ressassé mais toujours éternel de l’amour contrarié et de la rupture. Michel Villar s’amuse ici à nous démontrer le non-âge de ces sentiments que sont l’amour ou le mépris, au travers de correspondances différentes au fil des siècles mais dont le contenu semble tisser la même histoire entre deux mêmes êtres. Fleurettes, drame amoureux, semble donc le plus léger texte au milieu de toutes ces pépites de noirceur, comme une petite bouffée d’air nauséabond avant de plonger plus avant dans les ténèbres les plus poisseuses.

Car La Femme-ciseaux, ce sont aussi les thèmes douloureux de la perte de l’être aimé ou de la folie : Souviens-toi dépeint le deuil impossible d’un homme et La Quadrature du cercle nous immerge dans l’esprit tourmenté d’un autre homme. Ces deux nouvelles sont écrites d’une telle façon qu’elles nous entraînent, qu’on se débat pour en sortir. De la première, parce que le chagrin de cet homme est si palpable qu’il en devient étouffant. De la seconde, parce que jusqu’au bout le doute nous étreint, comme si la folie avait contaminé notre propre esprit.

Heureusement, les trois autres nouvelles offrent des variations en noir plus supportables, en comparaison! En particulier Soleil noir pour Lune blanche, qui reprend le titre d’un des morceaux des Fragments de la nuit. Mais c’est là leur seul point commun, car le texte évoque un rêve (mais en est-ce vraiment un?) à la fois étrange, apocalyptique et humoristique alors que le morceau musical me faisait imaginer la danse majestueuse de ces deux astres.

La Femme-ciseaux, c’est une exploration des facettes horrifique et sanglantes de la Nuit, teintée parfois d’un peu de légèreté ou d’absurdité, qui complète à merveille la musique obscure mais poétique et rêveuse des Fragments de la nuit. Une autre facette, aussi, du talent du compositeur quant il est à la plume, et non plus au piano.

Le grain de sable

Pied de Biche, la maison d’édition, est avant tout une galerie d’exposition et une librairie. Avec cet ouvrage, Pied de Biche débute dans l’édition.

Gramophone

L’album Tristesse des mânes de Collection d’Arnell Andréa

Sur le mur

Cette illustration de la nouvelle La Bête, par Alex Adieu

Dans la même veine

Si ces petites pépites d’obscurité vous ont ravi, je vous recommande les Contes macabres d’Edgar Poe illustrés par Benjamin Lacombe (Soleil, 2009) ou encore Le Horla de Guy de Maupassant (Pocket, 2005).

A propos de Michel Villar

Très peu d’informations ont filtré sur Michel Villar. Tout ce qu’on sait, c’est qu’il est compositeur pour l’image. Il est aussi pianiste et compositeur dans la formation néoclassiqueLes Fragments de la nuit, qu’il a contribué à créer.

Références

Edition du Pied de Biche, illustrations d’Alex Adieu, 2010, 94 pages

Liens et sources