L’argument
Dans les vingt textes ou fictions politiques qui composent Insurrections ! en territoire sexuel Wendy Delorme nous parle de sexe et de politique : les identités et les sexualités lesbiennes, les féminismes, les difficultés à être militante, la vie quotidienne oppressante lorsqu’on a été assignée à être femme/épouse/mère par la société. Elle est aussi venue nous parler d’amour et de résistance.
Ça commence comme ça
Une Fem-me
Conquistador de la rue, tu balances un pied devant l’autre armée de tes bottes Stilettos préférées, ou peut-être que ce sont tes santiags rouges, ou tes escarpins noirs aux talons aiguisés. Tes hanches tanguent en rythme, les épaules en arrière, le menton levé, tu traces sur les trottoirs de Pigalle sans t’arrêter devant les vitrines, tu les as vues cent fois. Tu as hyperconscience du mouvement de métronome de ton corps, tu exaspères le balancier, on se retourne sur toi, tu provoques, tu fais des vagues.
Tu glisses ta langue sur tes lèvres pour t’assurer que ton rouge n’est pas en train de sécher ; s’il le faut tu sais en remettre en marchant, debout dans le métro, à vélo, dans n’importe quelle circonstance.
Ton rouge à lèvres est toujours vif, de la même couleur agressive que le vernis sur les ongles de tes mains et de tes pieds, quelle que soit la saison. Tu passes une main dans tes cheveux. Tes ongles sont ras dans tes cheveux longs.
Avis personnel
Insurrections ! en territoire sexuel est devenu un de mes livres préférés. Je l’ai découvert le 8 mars dernier, lors d’une lecture publique d’extraits par Wendy Delorme elle-même. Dans une interview, elle dit ne pas savoir quel genre donner à ces textes, et les désigne par défaut sous le nom de fictions politiques. Le fait d’avoir écrit exclusivement à la première et deuxième personne du singulier donne un ton assez confidentiel à l’ensemble : en le lisant, on a l’impression que ça parle à nous, et à nous seules. Ce qui facilite l’identification avec un certain nombre de textes.
Le livre s’ouvre sur la description d’un nouveau mythe, d’une nouvelle figure troublante : Une Fem-me, une « fem », dessinant en contrepoint celle d’une butch, l’opposé complémentaire. Cette première fiction donne le ton : les textes sont là pour semer le trouble, pour faire état de troubles… dans le genre, la société, la politique. Dans Insurrections !, les sexualités sont des manifestes politiques.
« Sexe est politique » nous parle de sexe, de sexualité, mais aussi d’identité, de parentalité. Bébé Camp est émouvant et Métaphysique du vagin ouvre de nouveaux horizons. « Je-ux » décline des fantasmes, avec pour but de faire déculpabiliser sur leur formatage hétéronormé. Et parmi eux, un texte en particulier honore une autre figure centrale du livre : Eloge de la main. « Amours » déconstruit les clichés sur l’amour exclusif, le romantisme et les orgasmes. C’est cruel, jouissif et drôle. « La haine » est un long cri de rage. Grinçant et un peu amer sur la société sexiste, le militantisme pas si fraternel/sororal que ça (Les Bisounours peut d’ailleurs s’appliquer à tous les mouvements militants), et le sentiment d’impuissance que tout cela engendre. Le texte Au feu prend à la gorge et noue le ventre. Enfin, « Les mots et le monde » parle de la disparition d’Adam (avec comme narratrice Eve en suspect n°1 qui tente de se défendre tout en expliquant la création du monde sans le Grand Barbu), des révolutions redondantes du langage sur le sexe (on a rien inventé), de la littérature féminine. Le dernier texte, qui est une sorte de lettre ouverte, clôt le livre sur une invitation à l’espoir : Bienvenue au monde.
Je n’ai pas lu Insurrections ! d’une traite. J’ai fait des pauses entre chaque partie, parfois je me suis arrêtée après un passage, pour digérer.
Les textes sont crus, et même s’il y a poésie, humour et tendresse, l’écriture reste violente. Le livre nous révèle la dimension politique et publique d’un territoire qu’on s’efforce d’ordinaire de croire purement intime, le territoire de l’identité et de la sexualité.
C’est pourquoi la lecture d’Insurrections ! pourra rebuter un lectorat non averti ou/et indifférent, voire hostile au féminisme et aux mouvements gais et lesbiens. C’est d’ailleurs à mon sens sa faiblesse : il sera difficile à partager.
Le grain de sable
Wendy Delorme écrit en ce moment une histoire d’amour entre une comédienne et un metteur en scène, et finit un livre érotique qui paraîtra chez J’ai Lu en 2010.
Gramophone
En interludes, je conseille des titres de Scream Club : « Don’t F**k With My Baby », « I’m Going Crasy », ou encore « Party Time ». Ce qui permettra de souffler entre chaque texte.
Sur le mur
Vos mains. Admirez-les.
Dans la même veine
Pour retrouver ce genre de thématiques et de littérature, allez voir du côté de la King Kong Théorie de Virginie Despentes (Le Livre de Poche, 2006), des romans de Michelle Tea (en cours de traduction par Judy Minx), ou encore de La Voie Humide de Coralie Trinh Thi (Au Diable Vauvert, 2007).
A propos de Wendy Delorme
Wendy Delorme est un pseudonyme, et les détails de sa vie sont donc secrets, mis à part que sous son vrai nom, elle est professeur de Sciences de l’information et de la communication dans une des universités de la Sorbonne.
Wendy Delorme est auteur, performeuse, militante (anciennement aux Panthères Roses), actrice dans des pornos queer indépendants.
Elle se produit notamment dans les troupes des Kisses Cause Trouble, du Drag King Fem Show, et du Queer X Show Tour (2009). Elle a été photographiée par Naiel et Emilie Jouvet (aussi réalisatrice de films et court-métrages).
Elle a déjà publié Quatrième Génération chez Grasset en 2007.
J’attendais ta chronique avec impatience, ayant moi aussi était très impressionnée par ce livre. (et même par Quatrième Génération d’ailleurs)
J’ai ressenti la même violence dans les mots de Wendy Delorme, mais ça ne m’a pas dérangé, ni gêné dans ma lecture.
(de toute façon, aborder la question d’identité (sexuelle) et de genre, ça n’est jamais sans heurts, sans impacts tant c’est dérangeant si on y est pas préparé.)
Merci à toi pour cette chronique
(J’aurais aimé assister à la lecture d’extrait par Wendy Delorme elle même.
Tu connaissais ce qu’elle écrivait ou ça a été ton premier contact avec ces livres ?)
Coucou Deedlot ! Contente que la chronique t’aie plu ! Je savais que tu avais lu le livre, donc je souhaitais avoir ton avis.
J’ai lu « Quatrième Génération » dès sa publication.
Je n’avais pas beaucoup aimé ce premier livre sur la forme, l’écriture m’irritait. Mais ce qu’elle y disait m’avait ouvert pas mal d’horizons.
Quant à « Insurrections ! », le bouquin m’est carrément rentré sous la peau, et depuis je pèle, je fais ma mue. D’où les pauses et le temps passé à le lire, relire…
Il y a un(des) texte(s) que tu as préféré ?
D’abord très vite : Scream Club je ne connaissais pas, merci, c’est bien.
Sans aller jusqu’à en être irrité ou agacé, dans l’écriture de « Insurrections! » il y a quelques trucs que je n’appréciais pas vraiment. Trois fois rien, un ou deux tics, je pense qu’on s’y fait – vers la fin ça ne me dérangeait plus et si je le reparcours ça ne me le fait plus trop.
Un des aspects qui m’a beaucoup plu, c’est le côté composite de ces « fictions politique » entre des textes qui sont plaisants par anecdotes, ceux qui font manifeste etc. Le tout à la fois, même si un point et tantôt plus présent qu’un autre, comme exemplaire de ce nœud qui lie l’intime et la politique/lemonde sur un autre modèle, bien plus intéressant et agréable que l’habituel récit-singulier-qui-touche-à-l’universel.
Pour en évoquer quelques uns « Dirty Talking » m’a tout particulièrement amusé, j’ai bien aimé les deux derniers de « Je-eux », été moins sensible à « Haine » (même si surpris par « la prophétie des petites filles » qui n’a l’air de rien en commençant, puis çà prend).
J’ai lu « Quatrième Génération » après « Insurrections ! », c’est peut-être pour ça que je l’ai beaucoup aimé également.
Pour « Insurrections ! », moi ça a été l’inverse. Je ne pouvais plus m’arrêter dans ma lecture, il fallait que je l’ingère, que je le digère tellement vite pour continuer, sans m’arrêter, sans pause, et finir vidée, le souffle erratique.
(Je me souviens même l’avoir lu sur mon lieu de travail, à la place de révisions de partiel…)
D’ailleurs, tu m’as donné envie de le relire pour te répondre sur mes fictions préférées.
Je viens de le faire, en deux jours, et ça m’a fait le même effet, impossible de m’arrêter tant que je ne l’avais pas ingérer dans sa totalité.
Et donc, mes fictions préférés.
Incontestablement la première « Une Fem-me », parce que c’est la première fois que je me retrouve avec une telle intensité dans une description, dans une fiction.
Ce « tu » qu’elle utilise, ça pourrait être moi.
J’avoue que ça m’a pris à la gorge, ça m’a pris aux tripes la première fois que je l’ai lu, tellement c’était vrai, tellement je me suis dis ‘enfin, on me parle, on parle de moi, bien loin des clichés dont les gens ont idée habituellement.’
Pour une autre raison « Tu m’aimes ? » parce qu’il m’a fait douloureusement mal, et m’a rappelé quelques souvenirs.
Et enfin « La pomme », qui m’a arraché un sourire.
Même si, evidemment, tous les autres m’ont beaucoup plus !!
Je comprends qu’il te soit rentré sous la peau, parce qu’il m’a aussi marqué, même si bien sur, chacun le vit différemment.
(de toute façon, la question d’identité sexuelle m’intéresse, m’effraie aussi parce que parfois on voudrait que tout soit différent, depuis quelques années déjà…)
Bref, désolé du roman, et encore, je me restreins, mais je pourrais en parler pendant des heures, mais comme ces commentaires sont publics, ça n’est pas vraiment le lieu !
@Ubix: Tout à fait d’accord. Le côté composite permet d’aborder différentes facettes du « noeud ». Et d’accord aussi, ce genre de bouquin soulage du récit-singulier-qui-touche-à-l’universel, bien qu’elle ne soit pas la première à le faire. Il y avait les Sister Spit à Paris ce week-end, mais je les ai ratées. Elles forment un groupe littéraire spécialisé dans ce genre d’écriture déboulonnante.
@Deedlot: je comprends parfaitement ce que tu décris. L’un de mes textes préféré est « Métaphysique du vagin », et « Au feu » aussi, tiens.
Bref, j’attends son prochain bouquin avec impatience, même s’il sera visiblement différent des deux premiers (ce sera une fiction-fiction).
Oui, « Métaphysique du vagin » avait quelque chose de très particulier. J’aime beaucoup quand elle évoque tout ce qui touche au transgender.
Par contre, « Au feu » m’a moins touché. Mais je dirais que c’est mon point de vue de non-parisienne qui n’a jamais passé plus d’une journée dans la capitale.
Tu as une idée de la date de sortie de son prochain livre ?
Il va sans dire que je l’attends aussi avec impatience.
Je viens de refermer « Insurrection! »
Et bien moi c’est l’inverse j’avais été prise par le récit de Quatrième Génération pour le témoignage d’une culture, d’une sexualité et de tout un univers que je ne connaissais pas, malgré une écriture un peu pénible et pas très subtile, j’avais trouvé ce roman interessant et ça m’a donné envie d’en lire plus… Pour le second j’attendais plus de l’écrivaine que de la « fem ». J’ai lu quelque chapitres mais j’avais plus l’impression de lire le journal intime d’une adolescente certe peu banale! mais pas la révolte poignante d’une écrivaine de 30 ans. Je l’ai trouvé très nombriliste et cette fois ci le style de Wendy Delorme m’a fait fermer le roman avant la fin.
@Dolorosa: j’ai déjà entendu ce genre d’impression concernant le livre. Une amie m’a dit l’avoir trouvé « vide », et avoir été très déçue.
Si les thèmes abordés dans Quatrième Génération t’intéressent, je te conseille d’aller voir les bouquins indiqués ci-dessus: les romans de Michelle Tea, de Dorothy Allison (ils n’ont pas été tous traduits), les récits et poèmes d’Audre Lordre… Tu devrais finir par trouver ton bonheur.