L’argument
1944. Jeff a treize ans. Il porte la cicatrice d’un bec-de-lièvre. Suite à un déménagement, il doit aller dans une autre école. Bien que rejeté par ses camarades à cause de sa cicatrice et malgré l’amour entier de sa famille, Jeff va tout faire pour tenter de s’intégrer. Jusqu’au jour où il commet un acte incompréhensible, menaçant ainsi de faire vaciller la fragile amitié qu’il était parvenu à nouer avec Willy, l’un de ses camarades de classe.
ça commence comme ça
J’étais, sans le savoir, un enfant heureux, relativement heureux, il est vrai. Mais ce n’était qu’une impression d’ensemble. Car ma vie, même alors, ne manquait pas de petits malheurs auxquels je n’arrivais pas à m’habituer. Il faut remonter à novembre 1944. J’avais treize ans.
J’ai, depuis toujours, une cicatrice sur la lèvre supérieure. Les médecins disaient, sans cruauté, en triturant mon visage et en tirant sur ma lèvre comme un acheteur inspecte la gueule d’un poulain, que c’était « un bon travail de raccomodage ». J’aurais pu, j’aurais dû deviner que c’était en réalité un petit bec-de-lièvre. Mais il était tellement bien réparé qu’on parlait toujours de « cicatrice ».
Avis personnel
La cicatrice est un roman très court qui ne paye pas de mine. L’histoire d’un enfant rejeté, d’un enfant qui tente de s’intégrer, d’un enfant qui grandit et se découvre des pulsions qui l’effraient. Une histoire classique.
Mais La cicatrice, c’est bien plus que cela. Le roman va au-delà et c’est ainsi que ce récit initiatique de facture, au premier abord, classique, devient un chef-d’oeuvre. Car l’auteur décrit les états d’âme de Jeff de l’intérieur, usant de la première personne du singulier. Et, surtout, il le fait avec une justesse, une pudeur, et une sensibilité tout à fait poignantes. Je n’ai pas pu rester indifférente à tout cela. L’évolution des humeurs de Jeff sont si véridiques, si facilement transmissibles au lecteur qu’il m’a été impossible de de ne pas vibrer au fil de l’histoire. Jusqu’au dénouement, qui ne laissera certainement personne les yeux secs.
La cicatrice porte bien son titre. Il ne parle pas seulement de la marque physique qui provoque la mise à l’écart de Jeff. Il s’agit aussi des marques laissées en nous lors de notre apprentissage de la vie. Et, aussi, des traces que laisseront ce livre sur le lecteur. Bien que les phrases soient simples, dénuées de tout colifichet, l’émotion, elle, est intense.
On referme le livre, le coeur noué, et les larmes coulent. La cicatrice est un roman, mais il a tout d’une histoire vraie. Celle de chacun d’entre nous.
Le grain de sable
Bruce Lowery, bilingue, écrivait ses oeuvres d’abord en français, avant de les traduire ensuite en anglais, la langue de son pays.
Gramophone
Les cris des enfants jouant dans une cour de récréation.
Sur le mur
Brothers, Older with Glasses, photographie de Mike Disfarmer (1884-1959)
Dans la même veine
Sur le même thème on pourra lire So much to tell you de John Marsden (Walker Books, 2004), journal fictif d’une adolescente traumatisée, muette et défigurée ; ainsi que Métisse blanche de Kim Lefèvre (L’Aube de poche, 2003) qui est l’autobiographie d’une femme née d’un père français et d’une mère vietnamienne et dont le métissage provoqua souvent le rejet.
A propos de Bruce Lowery
On sait peu de choses sur Bruce Lowery.
Cet auteur américain est né en 1931 dans le Nevada. Il a obtenu le prix de l’Universalité de la langue française pour son roman La cicatrice, paru en 1961. Considéré comme son chef-d’oeuvre, il est le seul de ses ouvrages encore réédité aujourd’hui.
Bruce Lowery est décédé en 1988.
Références
Editions J’ai Lu, 1999, 125 pages.
Ah, mais oui ! Je m’en souviens de ce livre… mais ça fait très longtemps. Effectivement, il m’avait fait une impression assez trouble. Je me rappelle avoir été très triste en le lisant, même si les détails de l’histoire sont flous à présent. Il faudrait que je le relise. Merci pour cette belle chronique !
j’ai adoré ce livre car il peut arriver des malheurs à tout le monde .La fin ma beaucoup toucher car ily a la aussi un malheur. Jeff un personnage assé comme moi brusque il ne veut pas avoir de soucis mais c’est la qu’il en a le plus.
un livre qui m’a bouleversée la première fois… et qui continue de me bouleverser…
ayant une « différence » moi aussi, je me retrouve dans le vécu de Jeff concernant le rejet des autres enfants… lorsque je lis « la cicatrice » qui traduit si bien et si pudiquement les tourments de cet enfant, je me dis que Bruce Lowery a vécu ce traumatisme lui aussi.
merci Monsieur Lowery
merci