Cradle of Filth Cruelty and the Beast

Black metal vampirique

Pochette de Cruelty and the Beast, de Cradle of Filth

Note :
5/5
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Si d’aventure, vous souhaitez vous lancer à la découverte de Cruelty and the Beast de Cradle of Filth, oubliez tout de suite la subtilité, la finesse et le romantisme. N’essayez même pas de lire cette chronique si vous êtes à la recherche d’un album qui vous permettra de vous la raconter en soirée : non seulement Cradle of Filth est un groupe de black metal symphonique sujet, depuis quelques années, à un mépris plus ou moins profond de la part des amateurs de « vrai » black metal (où l’on pourrait disserter longtemps sur cette fameuse-fumeuse notion de « vrai » – « vraie » musique, « vraie » littérature, « vrai » cinéma, ad lib.), mais admettre publiquement qu’on puisse hisser un ou deux de leurs albums au sein de ses albums préférés relèverait presque de l’hérésie. Dont acte.

Cradle of Filth, ou comment jeter un pavé dans la marre dans le cycle parfois un peu calme de La Lune Mauve.

Le truc, c’est qu’en dépit de l’énorme stéréotype sur pattes qu’est devenu ce groupe au fil des années, Cradle a pondu, avec Cruelty and the Beast, un monument nocturne et violent, dont le chant démoniaque de Dani Filth n’a d’égal que la poésie sadique et sexuelle des paroles de l’opus.

Elisabeth BathoryEt pour cause : pendant près d’une heure, Cruelty dresse le portrait d’Élisabeth Báthory, cette aristocrate hongroise du XVIe siècle que l’on a surnommé la « comtesse sanglante » ou encore « dame sanglante de ?achtice ». En effet, la Báthory fait partie des plus célèbres meurtriers de l’histoire hongroise et slovaque. A la mort de son mari, celle-ci fut accusée de torture et de meurtre de plusieurs centaines de jeunes-femmes, dans le sang desquelles on raconte que la Comtesse prit ses bains pour conserver la jeunesse et la beauté de sa peau. Bien que ces légendes aient été écartées par les historiens, elles subsistent de façon vivace dans l’imaginaire collectif, au point que la culture populaire les ait régulièrement réinterprétés, notamment par le biais de la musique extrême (où l’on croise Venom, Bathory, ou encore Kamelot).

Mais revenons-en à nos moutons noirs. D’aucuns diraient que le chef d’oeuvre de Cradle of Filth est Dusk… and her embrace, l’album précédant Cruelty and the Beast. A mes yeux cependant, le propos du groupe dans Cruelty s’est durci, et l’ensemble est un peu mieux tenu, au niveau de la production, que dans Dusk. Le disque s’est d’ailleurs très bien vendu (200,000 exemplaires) et a valu au groupe une reconnaissance qui a dépassé le seul cercle des amateurs de musique extrême, mais a aussi entaché leur crédibilité auprès des « true ».

Cruelty and the Beast réussit, dès les premières secondes, à instaurer une ambiance lugubre, pesante et symphonique unique (et ce en dépit du son synthétique des claviers et de la batterie utilisés sur l’album), tel un véritable livre d’images soniques. En particulier, le fantastique Lustmord and Wargasm évoque la chevauchée rapide à travers les routes enneigées de l’Europe de l’est d’un personnage emmitouflé dans de sombres atours… Le chant de Dani Filth, tour à tour crispant, menaçant ou séducteur (Bathory Aria) scande des paroles ciselées et évocatrices, dans un anglais impeccable, qui interprètent à leur façon le mythe de la Comtesse sanglante. Celle-ci est par ailleurs représentée de manière très sexy dans le livret de l’album, au moyen de photographies très travaillées. A noter également, dans les crédits de l’album, la présence de Ingrid Pitt, dont la voix campe le rôle de Báthory à plusieurs reprises, en référence au rôle de la comtesse qu’elle avait tenu dans le film Comtesse Dracula.

La présence de voix féminines, le travail sur les introductions de chaque morceau et les interludes fantômatiques adoucissent un peu les guitares distordues et les rythmes infernaux de cet album que l’on peut moins qualifier de black metal pur et dur que de heavy symphonique et gothique.