Polichinelle joue à chifoumi

« Fishing with the death » de Bezt

N.B. : ce texte est une archive de mon blog personnel. Il a été initialement publié le 24 juillet 2007.

Cet article a déjà 11 ans : il contient peut-être des informations devenues obsolètes.

La piste est glissante, je m’enroule et me retourne comme un petit Polichinelle.

Sortie de ma boîte en papier, je m’étire en direction du soleil avant de me replier. Je me rétracte, me contracte, me boulifie, écarte les tracts encartés. Mon abdomen accordéon me soutient tant qu’il me supporte.

Quelques idées saugrenues plus tard, je réalise… À quatre mains, toujours sereins ; tout au plus quelques baies écrasées sur mes paupières. Ce sont des ailes de papillon réduites en poudre, des chenilles écrasées par centaines, ou encore des dauphins à qui on a arraché les ailes palmées. Pauvres dauphins, et pauvres chenilles, papillons de demain !

L’orage pique sur ma langue – goût plus proche du goût du sang que du goût des mûres, étalons frivoles à demi accomplis au détour de charmes insécures. Et on voit ces images par-delà les Océans, on s’y noie et on s’y roule, s’y enroule, se retourne, à quatre mains.

J’ai quelques fois ces visions de toi et moi, grands, noirs et pâles dans la pénombre, seulement éclairés par cette tempête de sable, furie chamboulant notre plage en sucre. Peut-être eus-je tort de graver cet or intemporel dans ma mémoire… Qu’importe ; l’avenir seul me contredira.

Polichinelle, ah ! Que voilà un bien joli nom. Familière ta figure, mon ami le clown taré. Ça fait pâle figure à côté de ma voie lactée, dont les ardeurs compromettantes susurrent des calembredaines à qui tend l’oreille. Joker, bouffon et clown tueur, psychopathes maquillés et mutilés, sociopathes endimanchés, plus coquets que des filles, tous ces hommes qui rient font partie de mon panthéon privé.

Ils logent du côté des marais, le côté obscur de la Lune étant trop froid pour leurs peaux gelées.

Presque évanouie, mes chairs dispersées aux quatre coins du vent, j’entr’aperçus le dallage scintillant de l’hôpital d’où elle dut s’échapper, « pour sauver le monde », she says.

Moi aussi, tu sais, la sensation d’être toujours en représentation. De n’être retenue, soutenue par rien.

Funambule pendue au bout de mon fil. Noctambule tarentule dévorée à la faveur d’un feu follet. Lee Annabelle, suspendue de l’autre côté du Rhin, telle un forçat battant l’airain.

Et revoilà les tarentules, glissant à côté de mes ongles encrassés. L’une d’elles me frôle… Profitant d’un seul, le seul, du seul instant d’inattention, sa morsure ne provoque aucun effet immédiat. Bien malgré moi, mes yeux s’aliènent à sa fourrure poudrée ; je ne sais, à vrai dire, lequel de ses deux grands yeux regarder. Les Araignées-Loups me guettent puis bondissent à tue-tête, chantonnant quelques calembredaines, tuant une à une les comètes perdues tout au fond de ma tête.

Pendant ce temps, le métal taille calmement mes amoureuses poignées. La sensation n’est plus aussi vive que dans mon souvenir ; je suis la petite orchidée perdue dans ton lointain. Peut-être est-ce la fatigue, ou l’habitude oui, l’habitude de la sentir aller et venir entre mes vaisseaux sanguins. De toi à moi, j’ai toujours su (et toi avec moi) que voir le sang perler en haut de tes cuisses provoquait bien plus qu’un frisson le long de mes doigts.

Ma tête se balance dans l’ombre dorée de sa Lumière. Mes mains caressent, immobiles. Le chant des sirènes collé à mes bas, reflets stéréophoniques d’un soir d’été ; quatre carrés de chocolat. Animation 3D plus vraie que nature, emmitouflée dans du sang de licorne. Le papier n’avait plus fait office de buvard corporel depuis longtemps.

La différence, aujourd’hui, c’est que c’est fini ; réparé. J’ai cautérisé la plaie. Le rictus me démange, car je peux enfin te dire : Perdu ! Le papier enveloppe le rocher.