Une fois n’est pas coutume, c’est en parcourant l’Atlas Obscura que j’ai découvert l’existence du Clootie Well.
Le Clootie Well est un lieu de dévotion populaire, situé à Munlochy, sur The Black Isle, une péninsule située à quelques kilomètres d’Inverness, en Écosse. À l’orée d’un petit bois, des centaines d’arbres et des milliers de branches sont recouverts de vêtements, de chaussures et de divers accessoires (chaussures, parapluie, etc.).


Cette tradition païenne serait un héritage des Celtes, qui étaient convaincus que les esprits des eaux et des arbres pouvaient intercéder en leur faveur. Au Clootie Well de Munlochy, on trouve effectivement une petite source, autour de laquelle les haillons sont nombreux, et dont les eaux sont jonchées de pièces de monnaie.


Comme l’explique l’ethnologue Dominique Camus (oui, le même Dominique Camus que j’ai rencontré aux Champs Libres) dans mon livre chouchou Dévotions populaires et tombes guérisseuses en Bretagne :
dans le domaine du magique, et plus largement dans celui de la médecine populaire, prévaut l’idée que l’on peut transférer sur un objet l’état d’une personne, par exemple sa maladie, et puis agir sur ce substrat pour modifier son état.
Ainsi, chaque vêtement ou accessoire déposé au Clootie Well a appartenu à la personne à soigner. La tradition veut que l’on plonge d’abord le vêtement dans la source, en insistant tout particulièrement à l’endroit qui a touché l’affection à guérir. Ensuite, on attache ce vêtement autour d’une branche ou d’un arbre. Enfin, on fait trois fois le tour de l’arbre en question pour que le sort puisse effectivement commencer à opérer.


Il est bien entendu déconseillé de détacher, ou même de toucher, le moindre vêtement : outre que cela porterait malheur, cela vous ferait aussi courir le risque d’attraper une dermatose ou autre maladie.
En effet, ces vêtements ont a priori été en contact a minima avec des affections de la peau, qui peuvent être contagieuses ou provoquer des allergies. De plus, la présence de moisissures et de bactéries font de ces guenilles des éléments insalubres.
On ne touche qu’avec les yeux, donc !

De tels endroits exercent sur moi un puissant magnétisme. Comme je le disais dans mon billet consacré à La Tombe à Lénard, visible en Ille-et-Vilaine, j’ai beau être une athée farouche, cela ne m’empêche pas d’être sensible à toute manifestation spirituelle.


Je suis touchée par cette dévotion à l’égard de la nature, en particulier à l’égard des arbres, mais aussi par cette rencontre improbable entre des tas d’individus issus d’horizons divers, qui partagent sans le savoir une conviction profonde, une envie qu’eux-mêmes ou leurs proches aillent mieux.


Imaginer ces gens y réfléchir, s’investir à fond dans une telle démarche, choisir minutieusement le vêtement ou l’accessoire qui sera sacrifié ; penser au fait que certains passent peut-être du temps à enlacer les arbres pour s’imprégner de leur énergie ; deviner la joie des un·es et des autres lorsqu’une demande est exaucée…


Plutôt que céder à la tentation rationaliste, qui voudrait voir en ce type d’endroit une manifestation d’une croyance naïve et vaine, je préfère y voir de la poésie et de l’énergie.



Connaissez-vous des lieux similaires, liés aux arbres ? Je sais qu’il existe de nombreux arbres votifs, comme les arbres à loques et les arbres à clous, un peu partout en France et en Belgique, ainsi que des des wish trees et des coin trees au Royaume-Uni, mais je serais curieuse que vous partagiez avec moi vos propres découvertes insolites liées à la nature.
Rendez-vous demain pour un nouveau billet sur les Highlands !
Loïc
14 mars 2018
C’est impressionnant !
Sophie Drouvroy
14 mars 2018
Impressionnant, je ne connaissais pas. Merci !
Kalys
14 mars 2018
Je trouve aussi la démarche touchante, même si je ne parviens pas à la comprendre. Mais… Je sais pas, ça m’embête de voir tous ces arbres enlaidis par des nipes. Je suis un monstre sans coeur :S
Mealin
14 mars 2018
Je suis aussi un monstre sans coeur alors ! #team
Nim
15 mars 2018
Merci pour ces photos ! Un des polars de Ian Rankin évoque un autre clootie well et je me demandais vraiment à quoi ça pouvait ressembler en vrai. Me voilà comblé :)
Marie
20 mars 2018
Oh, cool ! En effet il y en a plusieurs au Royaume-Uni, mais j’ignorais qu’il en était question dans un roman.
Hélène
15 mars 2018
C’est absolument fascinant comme endroit !
Marie
20 mars 2018
Ouais, j’adore ! J’y retournerais bien, sans neige ça doit être fort joli aussi.
Brice
15 mars 2018
Je ne sais pas si tu as lu « l’homme qui plantait des arbres » de Giono. C’est à peu près le seul bouquin de Giono que j’ai pu vraiment lire et apprécier. L’histoire me rappelle les arbres de ma vie, de mon adolescence. J’ai passé des longs moments à lire dans les chênes, les oliviers, puiser une force en eux, un réconfort. Il y’a quelque chose de puissant en eux qui peut effectivement ébranler nos esprits rationnels ou, au contraire, renforcer la conviction qu’on ne sais pas tout mais que tout peut s’expliquer.
Je comprends donc pleinement ces ex-votos et ce lieu, il doit être très puissant. Merci du partage.
Marie
20 mars 2018
Non, je n’ai jamais lu Giono. Je ne sais plus qui (Adrien, peut-être ?) me parlait du bouquin La vie secrète des arbres, qui paraît-il est très bien. J’y repense en lisant ton commentaire.
Tout cela est très poétique ! Comme toi, je suis très sensible à la nature. Il y a quelque chose de magnétique et de bienfaiteur. On s’y recharge, comme une pile. Et quel bien-être mental quasi-immédiat !
C’était en effet très puissant, et captivant. J’ai vraiment dû me faire violence pour repartir. J’y serais bien restée plus longtemps pour méditer.
lullaby
15 mars 2018
C’est à la fois poétique, fascinant, magique… et beaucoup de choses en fait. Je ne connaissais pas ce concept, même si je connais l’arbre de Brocéliande qui a plusieurs morceaux de tissus suspendus (mais pour une tout autre vocation – mes souvenirs sont flous).
Marie
20 mars 2018
De quel arbre parles-tu ? S’agit-il du chêne à Guillotin ?
Lullaby
31 mai 2018
Je ne me rappelle plus… Je ne pense pas que c’est le chêne de Guillotin. Mais mes souvenirs sont vraiment flous : je revois juste la photo de l’article. Impossible de me rappeler du nom ! (d’ailleurs, ça ne trouve, ce n’est pas à Brocéliande, mais il me semble que si). Je vais fouiner dans mes revues voir si je ne retombe pas sur l’article en question pour rafraîchir mes souvenirs !
Stella Polaris
16 mars 2018
Il y a un côté fantomatique aussi, à ces vêtements vides des corps qu’ils abritaient… Un peu comme les maisons abandonnées où restent encore des meubles et des objets, qui se dégradent peu à peu….
Marie
20 mars 2018
Quelle belle vision ! En effet, maintenant que tu le dis, il y a quelque chose de fantomatique dans ces vêtements et chaussures suspendus… et l’amas d’énergie qui y règne rend cette théorie assez plausible, en réalité !
Kellya
9 janvier 2019
Il y a un arbre à voeux dans un parc de la petite ville allemande ou j’habite. Placé au centre dun labyrinthe représentant la vie des femmes, chacun peut y laisser un petit mot ou un objets représentant un voeux qui lui est cher. J’aime énormément ce lieu empreint de douceur et de calme.
Marie
21 janvier 2019
Oh j’adore le concept ! Typiquement le genre d’endroit que j’irais visiter.
Résé
10 septembre 2019
il existe quelques endroits en Auvergne, dont un près d’Aubusson (ne pas confondre avec la ville des tapis, dans la Creuse)
mais c’est une fontaine… de là à ce qu’il y ait un rapport avec celle dont tu parles dans ton billet du jour (« Scarlett’s Well, Bodmin, Cornwall. »), je n’y verrais qu’un pas, que je sauterais avec joie de monpied de sorcière :D :D
Al
14 août 2020
Je viens de découvrir ton blog, via Diglee, et je suis si enthousiaste par ton travail et tes écrits. J’ai bien hâte de tout lire :)
J’ai hésité à poster ce commentaire sur mon expérience personnelle avec les arbres à vœux mais je me dis que ça peut toujours intéresser.
J’ai déjà vu ce type d’arbre, en Belgique en Gaume mais aussi en Irlande. Pareil, je suis athée mais cela m’a toujours bouleversée. De par l’humanité qui s’y dégage et la forte symbolique de notre lien étroit avec ma nature. Mais surtout, plus qu’un souhait, le fait de nouer un linge c’est pour un moi un engagement, une promesse envers soi et l’arbre, voire soi, un tiers et l’arbre.
Pour l’anecdote, un jour d’été avec mon amoureux nous avons fait l’amour près d’un arbre dans une forêt. C’était devenu notre arbre, notre témoin. Nous avions pris soin de choisir cet arbre. J’y ai attaché une chaussette que j’avais acheté en Irlande. Et c’était un signe pour moi, tout ce voyage pour arriver là. C’est une promesse à trois. :)