
Rallumer la bouilloire. Enfiler mon vieux pull à capuche. Attraper mon ordinateur. Ne pas oublier le plaid, car il commence à faire froid (4 degrés hier matin).
Mettre un pied dehors, puis le second ; inspirer tous les parfums du petit matin.
Je m’assois parmi les feuilles mortes et j’observe octobre.
Levée depuis 5 heures, ce n’est qu’à cet instant que je m’éveille.
Les chants des oiseaux m’encerclent. Il n’y a qu’eux, les arbres et moi. Ma tasse de thé refroidit vite, posée à même la terre.
Au loin, une buse étend ses ailes et plane hors de ma vue.
Sans y penser ou presque, j’écris…
Autel
Au printemps, j’ai installé un autel discret au pied d’un des chênes centenaires.
Une petite statue d’Athéna, chinée 1 € en vide-grenier, a trouvé place dans un repli fait pour elle.

J’ai pris soin de ne pas abîmer le lierre qui poussait à cet endroit. Il pousse toujours, menaçant de recouvrir la statue.
Aux pieds de la déesse, j’ai pris l’habitude de déposer plumes, pissenlits, coquillages et glands.
Ce geste est inné, je n’en attends rien. Même si je croyais en l’existence d’entités supérieures, comment pourrais-je me croire digne de leur attention ?
Je trouve simplement du réconfort dans cet endroit du jardin, sanctuaire forestier préservé des regards.
Je m’y rends souvent le cœur lourd — j’y pleure même parfois —, mais quand j’en repars, c’est souvent avec une étrange légèreté.
Nature, sois témoin.
Chouettes
Au petit matin, le chant des chouettes hulottes résonne. Et je l’entends enfin.
Si j’étais croyante, je ferais le lien entre mon autel de fortune et la présence des chats-huants, la hulotte étant l’un des symboles d’Athéna.
Il est tentant en effet de voir un « signe » en toute chose et d’interpréter cette association d’idées comme une synchronicité.
En réalité, les hulottes étaient déjà là : elles n’attendaient pas, tapies dans l’ombre, que j’installe un objet au pied d’un arbre pour se mettre à hululer. Non, elles étaient déjà là et vivaient leur vie. C’est juste moi qui ne leur accordais pas d’attention.
Ce n’est que lorsque j’ai décidé d’écouter que je les ai enfin entendues.
Je n’ai nul besoin d’y voir un quelconque signe : ce qui existe se suffit à lui-même, et pourtant je passe déjà à côté.
Combien d’autres merveilles m’échappent encore, faute d’attention ?

Joie
Une adelphe m’a dit ne pas savoir à quoi ressemble le bonheur.
J’ai réalisé que c’est pareil pour moi. Même dans les moments où je suis la plus sereine, il semble toujours me manquer quelque chose, quelqu’un.
Être heureux·se est-il seulement possible ? Ou bien est-ce un idéal que l’on nous fait miroiter pour nous vendre toujours plus de méthodes et d’objets magiques ?
A-t-on vraiment besoin de plus ? Nous possédons et consommons déjà tant.
Peut-être que ce dont nous avons besoin se trouve déjà tout près.

Si le bonheur est un mystère, au moins, je sais reconnaître la joie. Je la traque, même, car elle m’aide à supporter la vie.
The world is such a mess, it’s a fucking miracle to be able to create anything these days.
Sages paroles d’une amie, notées dans le premier carnet qui m’est tombé sous la main, comme chaque premier samedi du mois.

Bande-dessinée en 4 cases sur la création, créée par Ami inintéressant. Deux personnages échangent. Le premier personnage tient un ordinateur portable à bout de bras.
- Le second personnage dit au premier
C’est dingue tout ce que t’arrives à créer. Moi j’ai jamais la foi de taffer sur mon temps libre.
- Le second personnage continue :
C’est quoi ton secret ?
- Le premier personnage répond :
Je me noie dans la création pour oublier ma dépression et ma peur viscérale de la mort.
- Le second personnage conclut :
Génial ! T’as tellement de chance !
Marie
9 octobre 2022
Quelle joie de commencer le dimanche en lisant tes mots 💜.
Marie ☽
9 octobre 2022
💜 Et moi les tiens !
Minuit
9 octobre 2022
Tout pareil <3
Marie ☽
9 octobre 2022
C’est tellement agréable d’être en petit comité ici, oui ! 💜
Lao
9 octobre 2022
Il y a dans ces mots un début d’automne qui se profile, une douceur sans fin qui enveloppe mon dimanche. Merci pour ces mots, je redécouvre la beauté du cri des hulottes et c’est toujours un immense plaisir de te lire.
Marie ☽
14 octobre 2022
J’en suis très heureuse ! Merci, Lao.
Virginie
9 octobre 2022
Quel plaisir de te lire, toujours inspirant et matière à réflexion… Je me dis que j’ai du mal à faire la différence entre la joie et le bonheur, mais peut importe finalement. Une longue période de mal être ces deux dernières années m’a appris à plus apprécier ces moments de joie/bonheur (avec toujours en toile de fonds la peur que ça s’arrête et ne revienne pas…).
J’adore la petite BD, tellement drôle… et juste.
(j’ose enfin laisser un commentaire après de nombreuses lectures silencieuses)
Marie ☽
14 octobre 2022
Merci beaucoup Virginie, quel plaisir de te lire !
Je suis désolée d’apprendre que les deux dernières années ont été particulièrement difficiles pour toi. Peut-être qu’être passée par le très bas te permet d’apprécier d’autant plus les éclaircies aujourd’hui ?
Daphnée
9 octobre 2022
Un billet qui résonne et ce, un beau dimanche matin. Merci beaucoup !
Marie ☽
14 octobre 2022
Bienvenue Daphnée, et merci pour ton message !
Caroline Muller
9 octobre 2022
Quel plaisir d’ouvrir le dimanche, une tasse de thé fumante, avec tes images et tes mots.
Depuis un moment j’ai envie de créer un petit autel domestique chez moi, ton billet m’aide, merci :-)
Marie ☽
14 octobre 2022
Oh je suis contente, merci pour ton mot doux, Caroline !
Mealin
9 octobre 2022
« ataraxia »
C’est ce qu’a peint un artiste hyper productif à son époque dont je dois présenter les oeuvres ces derniers temps et clairement je n’imagine pas une seconde vue le type qu’il ait trouvé cette « tranquillité de l’âme » mais que l’art était une en quête sans fin de sens pour lui.
Autant de dire que ça résonne un brin…
Si c’était simple et sans aucun side-effect négatif, un petit autel périssable du genre que tu as construits et mes cendres en dessous serait mon idéal. Le lierre qui embrasse, incorpore <3
Marie ☽
14 octobre 2022
C’est amusant que tu parles d’ataraxie, car c’est exactement ce dont j’ai parlé avec une copine il y a quelques jours, en rapport avec ce billet. Moins ressentir, moins prendre à cœur, moins s’enflammer, c’est peut-être souffrir moins.
Très jolie image ! Qui me rappelle la couv’ de notre zine Pot Pourri (tu serais le petit squelette, mais en cendres, du coup).
Mealin
14 octobre 2022
Il parait qu’il ne faut pas voir des synchronicités où il n’y en a pas… :)
Marie ☽
14 octobre 2022
Je n’y avais même pas pensé ! Simple hasard lunemauvien, car je viens de boucler mon tout dernier billet, où il est question de la micro publication.
Lullaby
9 octobre 2022
Merci pour ce billet, qui résonne si fort par ici.
Marie ☽
14 octobre 2022
J’envoie plein de douces pensées en ta direction, ma chère Lullaby !
Mymy
9 octobre 2022
Le matin est arrivé de l’autre côté de l’Atlantique, je me joins donc au groupe avec une tasse bien chaude et un gros chandail 💜
Marie ☽
14 octobre 2022
Quelle douce vision ! Team gros pulls pour la vie.
eva
9 octobre 2022
Un de tes billets qui me touche le plus…un accueil magique à l’automne – merci
Marie ☽
14 octobre 2022
Merci de tout cœur pour ton mot, Eva ! Je suis ravie de t’accueillir ici.
Sébastien
9 octobre 2022
Bonsoir ,
Merci pour ce nouveau billet très intéressant et avec des sons de ton jardin avec ces Chouettes .
Merci Marie et bonne soirée à toi.
Marie ☽
15 octobre 2022
Merci pour ton petit mot, Sébastien ! 🦉
Candice
10 octobre 2022
Merci pour cet article si touchant, si doux, si poétique et si toi en même temps.
Je t’embrasse fort.
Marie ☽
15 octobre 2022
C’est moi qui te remercie d’être toujours toute proche et de compendre, ma douce. ♥
Alexandrine
10 octobre 2022
Je n’ai jamais entendu le hululement des chouettes hulottes ailleurs que dans des reportages TV. ça doit pas être la même chose en vrai (la TV enlève un peu de magie de la nuit)… C’est sans doute le plus fameux plus de vivre à la campagne : les bruits de la nature environnante (bon, je me plains pas d’habiter en pleine ville : j’ai quand même des chauve-souris ^^).
C’est difficile de définir le bonheur en fait. Peut-être que le bonheur pour certains artistes c’est justement de ne pas être totalement heureux pour avoir un moteur de création (mais ça dépend des artistes).
Et en automne le bonheur c’est peut-être tout simplement de se poser face à des arbres avec un thé/chocolat/café et de laisser le temps passer en ne pensant à rien d’autre qu’à ce qu’on voit. (ça serait avec un carnet de croquis pour moi en plus ^^)
Merci pour ces mots, très beaux. Et ton autel informel est réussi également, une ode à la nature.
Belle journée et semaine,
Alexandrine
Marie ☽
15 octobre 2022
Merci pour ton message, Alexandrine !
Vaste sujet ! Faut-il être malheureuse pour créer ? Le cas échéant, si le malheur ou, simplement, la tristesse sont des moteurs de création, faut-il se mettre en danger, continuer à fréquenter des personnes qui nous rendent misérable afin d’avoir l’assurance de créer ?
Ces pensées romantiques ont pu me plaire par le passé. Aujourd’hui, j’accepte les moments de mélancolie et tente d’apprivoiser le désespoir, qui se manifeste de temps à autre. Le reste du temps, c’est plutôt l’ataraxie (évoquée plus haut par Mealin), le recul, l’équilibre, qui sont des pré-requis essentiels à mes velléités créatives. Quand je suis dans le jus, submergée par les émotions, je ne pense pas droit et mes mains n’arrivent à rien. (Mais peut-être est-ce lié à mon hypersensibilité – je ne sais pas.)
Peut-être que le bonheur ne se savoure qu’un instant à la fois, tu as raison :)
Mrs Roots
10 octobre 2022
Un post qui est une vraie respiration, merci pour ton partage.
Marie ☽
15 octobre 2022
C’est moi qui te remercie de respirer avec moi, Laura !
serendipity liche
11 octobre 2022
j’aime beaucoup ce que tu dis sur les « signes » qu’on peut voir partout où on les cherche, là où il n’y a fort probablement que de la coïncidence, ou plutôt une attention nouvellement données pour telle ou telle raison… et ça s’applique probablement à beaucoup beaucoup de signe que les gens voient…
Bonheur et joie : est-ce que le bonheur ne serait pas juste de ressentir de la joie souvent ? Est-ce qu’en fait, pouvoir se permettre de se demander si on est heureux.e n’est pas déjà un signe qu’on l’est au moins un peu ?
Après, c’est aussi sûrement un truc utilisé par les marketeux pour faire vendre, c’est sûr :/
Quant au lien entre création et l’état du monde, j’avoue que ça soulève beaucoup de réflexion, lequel vient en premier ? Est-ce que la création permet d’oublier le monde, ou au contraire de le souligner, de le refaire pour soi ? Est-ce que dans un monde parfait on créérait autant ? M’enfin, qu’est-ce qu’un monde parfait, finalement (y’a des chances qu’il ne puisse jamais être parfait pour tout le monde en même temps, de toute façon) ?
Bref, très beau post qui mène loin – comme la plupart du temps, et c’est toujours aussi agréable !
Marie ☽
15 octobre 2022
Merci beaucoup ! J’aime les routes nouvelles qui se dessinent quand tu rebondis à ce que j’écris.
Si, c’est possible. C’est ce qui ressort des commentaires partagés sur ce billet, en tout cas : il y a un consensus autour de l’idée que le bonheur n’est pas (ne peut pas être) un état permanent, et que ce serait plutôt une façon de désigner un ensemble d’instants très agréables.
Je ne sais pas ! Selon moi, se poser cette question témoigne au moins d’une appétence pour le bonheur, que l’on recherche et que l’on espèrerait savoir reconnaître.
Se poser la question peut signifier que l’on détecte quelque chose d’inhabituellement plaisant, qui contraste avec le reste de notre vécu. Comme un fourmillement au bout des doigts que l’on ne ressent pas d’ordinaire, mais qui passe souvent bien trop vite.
Une autre caractéristique du bonheur, c’est souvent que c’est après coup, voire même longtemps après, que l’on se rend compte que l’on a pu être le connaître. Si on avait conscience, pendant le moment heureux, que ce serait un de nos plus agréables moments, l’aurait-on vécu autrement ?
Ou est-ce au contraire le fait de simplement le vivre, sans se poser ce genre de question, qui permet de faire l’expérience de toute son intensité ?
(Woh, je suis en forme pour un samedi à 7 h 50, c’est louche.)
serendipity liche
25 octobre 2022
j’avoue, je posais plus la question en mode très critique/pessimiste/troll de si on peut se permettre de se poser la question au lieu de, genre, cherche comment on va manger notre prochain repas, c’est peut-être qu’on est déjà un peu dans une réponse positive… même si c’est idiot, parce que ce n’est pas parce qu’on a tout ce qu’il faut pour être heureux.e qu’on l’est – bien entendu, « ce qu’il faut » est une notion des plus floues et qui va tellement dépendre des personnes à qui on demande… même si pour revenir à mon postulat initial il est probable qu’un certain confort de vie va plutôt dans le bon sens (je dis probable, parce que peut-être que pour certain.es en fait ça apporte surtout de l’ennui ? Mais l’ennui est-il incompatible avec le bonheur ?).
Mais je vais peut-être un peu loin dans les interrogations, en fait – même si après lecture de ta réponse la question « Si on avait conscience, pendant le moment heureux, que ce serait un de nos plus agréables moments, l’aurait-on vécu autrement ? » me turlupine pas mal (positivement, j’entends : c’est très intéressant !).
Quant à ne pas se poser la question, est-ce simplement possible ? Surtout dans nos sociétés occidentales actuelles (je ne sais pas pour les autres) ou les injonctions au bonheur sont si nombreuses.
En tout cas ces échanges sont effectivement formidables, parce que les questions qu’on se posent ne sont pas les mêmes, ou sous la même forme/interprétation, et ça ouvre plein de possibilités de cogitation et de nouveaux points de vue !
Shaya
11 octobre 2022
Merci pour ce partage <3 Le bonheur, peut-être est-ce cette sérénité, cette aptitude à s'émerveiller de ce qu'on ne voyait pas jusqu'alors ?
Coïncidence: la chouette d'Athéna m'est précieuse, une veille sur moi depuis mon omoplate.
À bientôt de te lire.
Marie ☽
15 octobre 2022
Merci Shaya, c’est toujours doux pour moi de te croiser dans le dédale lunemauvien.
Oui, ou alors de se rendre compte des instants de bonheur passés. Car il me semble qu’on se rend rarement compte, sur le moment, du bonheur que l’on vit. Ce n’est que quand il a disparu qu’on en ressent la puissance (et l’absence) de toutes ses forces. Mais c’est une romantique qui parle…
Cette coïncidence me semble une évidence. 😉
Claire
12 octobre 2022
Je ne commente jamais pour 1001 raisons . Je me lance cette fois.
Je me méfie de l’automne que j’adore pourtant, car il a tendance à m’entrainer vers des chemins mélancoliques. Peut être voir, comme tu le dis, à accepter de lâcher et de pleurer cela fera peut être un peu moins mal.
Merci pour la douceur de ton texte
PS : et pour les signes, pareil, c’est juste qu’avant on ne les voyait pas, et ensuite on ne les verra plus. Je ne sais plus ou j’ai lu/entendu que notre cerveau fonctionnait par lien et associations. Voir des signes, c’est juste notre cerveau qui fait son boulot.
Marie ☽
15 octobre 2022
Chère Claire, je te remercie d’honorer ma petite planète de tes pensées !
Oui, car le souci, à force de retenir ou d’éviter, c’est que ça continue de grandir dans un coin et le jour où ça sort, ça sera probablement à un moment moins opportun et de manière moins agréable que quelques larmes déposées au pied d’un arbre.
Mon cerveau fait un lien immédiat entre ça et le Zettelkasten, qui est un moyen de faire des liens « physiques » entre plusieurs idées. Le monde est petit.
L'ourse bibliophile
24 octobre 2022
Après trois semaines sans internet, quel plaisir de renouer avec la toile avec tes mots qui me parlent si bien. Je partage ton regard sur la nature, il est si bon de se poser et de prendre le temps d’observer et d’écouter (je regrette tant de ne pouvoir le faire lors de mes promenades quotidiennes à travers bois et champs avec ma chienne, mais elle se fiche totalement de la contemplation, me traîne pour avancer sans cesse et m’interdit toute distraction au risque de me faire voler si elle surprend un autre animal…). J’aime la paix et les questionnements qui se dégagent de cet article.
Marie ☽
23 décembre 2022
Et pourtant, quelle chance de partager tant de moments avec ton animale !
L'ourse bibliophile
29 décembre 2022
Je passe de très bons moments avec ma chienne, c’est certain, et je l’adore ; malheureusement, les instants de complicité en balades sont pour le moins fugaces. Pour elle, dans ces moments-là, je crois que nous ne sommes que les poids morts qui l’empêchent de suivre son instinct et de courser chevreuils et renards à travers champs et bois !
Marie ☽
30 décembre 2022
Je comprends ! Mais, au moins, elle ne te considère pas comme sa domestique, au contraire des chats.
L'ourse bibliophile
2 janvier 2023
Non, je ne crois pas… Même si on ne satisfait pas tous ses désirs (du genre aller se promener à peine levés ou lui faire une place à table) et qu’elle sait nous le faire comprendre par des airs maussades ou des regards noirs !