
To Breathe, Kimsooja
De passage à Metz, la ville du Graoully, je suis allée passer un après-midi au Centre Pompidou-Metz.
Cette parenthèse d’art contemporain m’a fait le plus grand bien.
Déjà, parce que la semaine qui vient de s’écouler a été rude, entre les attentats et les saillies islamophobes d’un côté, les problème de communication et l’auto-exploitation de l’autre.
Ensuite, parce que je découvre le plaisir des petits « rendez-vous avec soi » (peut-être un peu inspirée par ce bouquin, c’est vrai). Pendant longtemps, je trouvais un peu embarrassant de me retrouver toute seule pour aller au restaurant, au musée ou pour voyager. Petit à petit, je mets de l’eau dans mon vin à ce sujet, et c’est une bonne chose.

Ten Lizes, Andy Warhol, 1963
Ce vendredi après-midi, le Centre Pompidou était désert. Quel bonheur de pouvoir prendre tout mon temps devant les œuvres et leurs cartels ![1. Un cartel est le petit panneau qui accompagne une œuvre, et qui indique son titre, son auteur, l’année de création ainsi que les techniques employées. C’est en quelque sorte la carte d’identité d’une œuvre.]
J’y ai vu pas moins de quatre expositions en à peu près trois heures :
- Phares, une sélection d’œuvres monumentales du Centre Pompidou. Il s’agit de 19 œuvres majeures qui jalonnent l’histoire de l’art du XXe et du XXIe siècles.
- Kimsooja – To Breathe, une installation qui plonge le visiteur dans l’univers coloré et introspectif de l’artiste coréenne.
- Cosa mentale. Les imaginaires de la télépathie dans l’art du XXe siècle, une relecture de l’histoire de l’art de 1880 à nos jours, à la lumière de la fascination des artistes pour les modes de communication de la pensée.
- Warhol Underground, une plongée inédite dans l’œuvre du pape du pop art à travers ses liens avec la scène new-yorkaise underground : musique, danse, cinéma.

Les quatre expos étaient très bien. Chacune bénéficiait d’une scénographie hyper soignée (mention spéciale à l’expo Warhol, dont les murs étaient entièrement recouverts de papier et de peinture argentés, en référence à la Factory), des explications claires et éclairantes, même pour un public amateur comme moi.
J’ai pris plein de notes et j’ai littéralement bu les paroles des artistes cités, expliquant leur démarche et leurs œuvres.
C’était fascinant d’avoir sous les yeux une œuvre, puis, à quelques pas de là, les photos de certains artistes en plein travail. Ça contribue à humaniser les œuvres, à mieux les situer au cœur d’une époque, et à voir comment elles ont été concrètement réalisées.
Ça contribue à réduire la distance entre le spectateur et l’art contemporain, à l’opposé de l’effet « cintre sur mur » dont parlait Eli.
L’art XXL
Pendant cette visite, il y a pas mal de choses qui m’ont remuée. À commencer par le manifeste Fluxus présenté pendant l’expo Phares :

Manifeste Fluxus, George Maciunas, 1963
Dans la foulée, J’ai été fascinée par le piano à queue intégralement recouvert de feutre de Joseph Beuys.
L’œuvre s’intitule Infiltration homogène pour piano à queue, mais son sous-titre est plus intéressant encore : Le plus grand compositeur contemporain est l’enfant thalidomide.
Cela fait référence à un scandale pharmaceutique majeur du XXe siècle, et fait ainsi de l’œuvre un exemple éloquent de « sculpture sociale ».
La citation suivante de l’artiste m’a marquée :
Un tel objet est conçu pour stimuler la discussion. En aucun cas il ne faut y voir une production esthétique.
Stimuler la discussion, voilà peut-être la raison d’être de l’art moderne (par opposition à l’art décoratif).
Ensuite, c’est la taille de l’œuvre de Robert Delaunay et son harmonie de formes et de couleurs qui m’ont saisie. Je me suis vraiment sentie toute petite devant ça :

Entrée du hall des Réseaux du palais des Chemins de fer, Robert Delaunay, 1937
Mes yeux et mon esprit se sont ensuite régalés d’un Picasso dépeignant Pierrot et Arlequin, créé pour le ballet Mercure, dont la musique a été composée par Erik Satie.
J’ai été éblouie par une œuvre immense de Claude Viallat, une sorte de gigantesque morceau de toile sur lequel l’artiste a utilisé la méthode du pochoir pour reproduire à l’infini un motif unique.
Et j’ai adoré l’œuvre de Julio Le Parc, intitulée Déplacement du spectateur nº1, une œuvre interactive dans laquelle le spectateur est invité à s’immerger, pour combattre sa propre passivité.
Cela m’a rappelé la superbe l’expo Dynamo, au Grand Palais, qui s’inscrivait aussi dans cette démarche-là.
Bref, l’exposition Phares du Centre Pompidou-Metz est une réussite complète. Je pourrais vous en parler des heures. Si vous avez l’occasion, allez-y ! (Il paraît que le musée est gratuit les 45 dernières minutes de la journée.)
Télépathie artistique
Changement d’ambiance pour l’expo Cosa Mentale, qui dresse un lien entre art et télépathie.
De l’art et des curiosités ? Forcément, ça me parle.
Esthétiquement, c’était tout ce que j’aime : du mauve, du rose, des dégradés pastels, un mélange entre vintage et contemporain, science, art et imaginaire.

ColorLightForm, Christian Sampson, 2015

Télépathie
J’ai découvert les dessins de Rudolf Steiner, qu’il réalisait pendant les nombreuses conférences qu’il a données :

Sans titre, Rudolf Steiner, 1923
Je suis tombée amoureuse de cette aquarelle de Hilma af Klint :

Sans titre (Portraits), Hilma af Klint, 1933
Et j’ai poussé un petit cri quand je suis tombée nez à nez avec La Madone de Munch :

Madonna, Edvard Munch, 1895
L’expo m’a aussi fait découvrir la « mind music » (musique de l’esprit) ou « bio music » (musique biologique) qui consiste à traduire en sons et en couleurs l’activité du cortex. Fascinant.
Redécouvrir les musées
Vous l’aurez compris, j’ai adoré ce que j’ai vu au Centre Pompidou-Metz. Tant d’émotions et d’inspiration en un après-midi !
À l’heure du tout numérique, des Pinterest, Twitter et Feedly qui vampirisent notre réservoir à inspiration, ce serait une erreur que de négliger l’inspiration en or massif, la culture et l’ouverture d’esprit qu’apportent les musées.
Et vous, quelles sont les expositions ou les œuvres que vous avez découvertes récemment, et qui vous ont chamboulé·es ?

Un hôpital ? Non, une expo d’art contemporain.
Eliness
21 novembre 2015
Je suis ravie que mon expression familiale « cintre sur mur » se répande petit à petit dans mon entourage <3
Ton article a suscité en moi plusieurs réactions très positives :
– La gêne que tu décris si bien de passer du temps seul avec soi-même m'a fait immédiatement penser à cette vidéo d’Anna Akana (bon sang je sors toujours les mêmes références…) qui m’a fait voir les activités solitaires sous un angle différent. Vous me donnez toutes deux envie de m’y mettre un peu plus. J’allais très souvent seule au ciné étant ado, et c’était absolument génial car je pouvais m’immerger intégralement dans les films que je voyais et absorber toutes les émotions qu’ils me transmettaient sans aucune pudeur face aux autres gens qui m’entouraient, puisque je ne les connaissais pas. Et rien de tel que se poser une heure ou deux tout seule dans un café avec un bon bouquin… Apprenons à apprécier notre propre compagnie :)
– J’étais au Centre Pompidou de Metz il y a quelques années, je n’ai pas grand souvenir de l’expo qui y était à l’époque, mais je me souviens surtout de la superbe structure du bâtiment, ces poutres enchevêtrées en une sorte de vague m’avaient beaucoup impressionnée.
– Je réalise de plus en plus que toute forme d’art peut être accessible à tous, à condition d’être correctement contextualisée. Parfois un simple petit guide ou panonceau annonçant l’intention de l’artiste suffit à faire lumière sur des œuvres à côté desquelles on passerait avec un haussement d’épaules sans cet éclaircissement. Je me rends compte de l’ampleur du boulot pour un curateur de ce genre d’expos, et les personnes ayant travaillé sur celles que tu décris semblent avoir rempli à merveille la tâche :) Surtout pour de l’art contemporain, les œuvres ne peuvent souvent se suffire à elles-mêmes, surtout pour des néophytes, tant elles sont parfois cryptiques. Après, c’est une chouette expérience aussi de plonger en plein dedans sans aucune idée de contexte, mais trop souvent cela génère le rejet « cintre sur mur » qu’on connaît si bien.
– Ton partage m’a fait découvrir quelques artistes dont je vais explorer un peu l’univers ce weekend, merci ! J’ai beaucoup aimé cet article qui, il me semble, n’est pas une thématique courante dans tes archives… Moi je suis preneuse en tout cas donc n’hésite pas à en publier d’autres de la sorte sur tes explorations culturelles si tu en as l’envie :)
PS : j’ai mis de longues secondes à décrypter ta dernière photo : « c’est quoi ce pantalon bouffant blanc ? et pourquoi elle a des chaussettes noires en bas de ses docs ? quelle est donc cette tenue étrange ? » *Eli pas tout à fait réveillée encore*
Marie
24 novembre 2015
Eli <3 Merci pour ton long commentaire, des plus intéressant !
Ouais, je vois totalement. Ce que j’aime, en faisant des trucs de mon côté, c’est que je n’ai pas à justifier mes choix, mon envie de rester trois heures dans la même expo, de retourner plusieurs jours de suite dans la même boutique, de prendre une énième photo de ce coin charmant que je connais pourtant déjà par cœur, ad lib.
Je m’aperçois que quand je suis avec quelqu’un, j’essaie toujours de « m’adapter » à son humeur, ses envies, quitte parfois à mettre les miennes de côté. Peut-être est-ce inévitable, je ne dis pas que c’est mal ou inintéressant (au contraire, vive l’altérité et l’empathie !), mais parfois ça fait simplement du bien de mettre sur pause cette envie de satisfaire l’autre et de marcher sur des œufs, de suivre son instinct et de faire absolument ce qu’on veut sans avoir à se justifier.
Oui, mais rendre les choses cryptiques ou, en tout cas, ne pas tenter de les expliquer aux néophytes, c’est une forme de snobisme : on reste entre « ceux qui savent », « ceux qui comprennent », sous-entendu « ceux qui ont la culture suffisante pour savoir et pour comprendre ». C’est excluant et très bourgeois.
C’est d’autant plus important d’expliquer l’art contemporain (au sens large) qu’il touche à des questions de société actuelles, qui nous concernent tous. C’est une autre façon de comprendre l’actualité et l’air du temps, certes de façon plus alambiquée et moins plaisante qu’un poste de télévision, mais ô combien plus enrichissante.
Merci, cela me fait plaisir ! ^.^ Je me doutais que ce billet ne soulèverait pas les foules, mais j’avais trop envie de l’écrire, car j’étais sur un petit nuage quand je suis sortie de cette visite. C’est vrai que j’écris assez peu sur l’art et les expos, mais je m’y colle quand j’ai vraiment été marquée par un truc (par ex., l’expo Patti Smith, l’expo Moebius, l’expo Orlan).
En ce moment je vois passer de fichtrement belles expos à Paris, comme celle consacrée à l’estampe fantastique ; petit pincement au cœur de ne pas pouvoir y aller, mais bon, c’est comme ça ! Heureusement qu’il y a des personnes de qualité qui partagent leurs découvertes sur leur blog ;-)
:-D
Stella Polaris
25 novembre 2015
Merci pour cet article ! :-)
Sur le fait de faire des choses toute seule, un article que j’ai bien aimé.
Et complètement oui à aller au musée pour voir les oeuvres en vrai plutôt qu’en repro : on ne se rend pas compte à quel point on perd souvent en richesse, en texture, en expérience (face à une oeuvre monumentale par exemple, ou une oeuvre en 3D) avec une reproduction photo…
Marie
27 novembre 2015
Stella <3 Toujours un plaisir de t'accueillir en ces pages.
C'est amusant que tu me parle de Brain Pickings ; j'ai justement regardé une vidéo d'Amanda Palmer cette semaine où elle en parlait aussi. LES GRANDS ESPRITS.