Bonjour et bienvenue dans non pas une, mais deux nouvelles playlists lunemauviennes.
Au programme, près de 7 heures de musiques sombres compilées par votre dévouée : du metal doom et cérébral, des cris de rage, des ambiances ténébreuses, rituelles et gothiques, mais aussi des éclaircies folk, pop, rock et même electro (?! que m’arrive-t-il) pour tenter de garder un brin d’espoir dans ce monde terrifiant.
J’espère que ces émotions et paysages musicaux vous accompagneront par monts et par vaux ou bien, simplement, dans votre chrysalide lors d’un moment rien qu’à vous.
Tout d’abord, donc, la playlist de septembre :
Ensuite, la toute nouvelle playlist d’octobre :
Je vous conseille d’écouter chaque playlist dans l’ordre, car j’ai veillé à ce que l’enchaînement des titres soit agréable et raconte quelque chose, mais bon, vous faites bien comme vous voulez.
Vous pouvez retrouver toutes mes playlists précédentes sur mon profil Spotify, auquel vous pouvez carrément vous abonner si le cœur vous en dit.
Trois groupes de doom m’ont tapé dans l’oreille en septembre et en octobre, et il fallait absolument que je vous en parle : Faetooth, BlackLab et Indigo Raven. Que du doom cette fois, oui, car j’aime mon metal comme j’aime mon thé : fort en gueule.
Une nouveauté à signaler, aussi : en fin de billet, sous le titre « Dans la même veine », je partage avec vous deux rebonds artistiques afin de relier les points dessinés tant par la musique que par ma main.
Enfin, je conclus en présentant l’inflexion militante de ma curation musicale. Bonne lecture et bonne écoute !
Faetooth
Style musical : doom metal de mauvaises fées
Dans le folklore français, il y a la petite souris : ce rongeur bien intentionné vient déposer une pièce de monnaie sous l’oreiller des enfants ayant perdu une dent de lait. Dans le folklore nord-européen, ce n’est pas un mulot, mais une inquiétante « fée des dents » (tooth fairy) qui s’en charge.
Si les dents juvéniles ont pu servir de porte-bonheur aux guerriers scandinaves, les dents sont aussi des reliques magiques auxquelles on prête des pouvoirs terribles. Les sorcières s’en empareraient pour contrôler autrui ; les enfants perdant leurs dents quant à eux auraient intérêt les brûler ou les enterrer pour ne pas risquer de devoir les chercher pour toujours en enfer. AMBIANCE.
C’est bel et bien du côté obscur de ces légendes dentaires que s’inscrit le projet musical Faetooth, dont le metal sludge lourd, lancinant et même parfois inquiétant m’a séduite à la minute où je l’ai découvert grâce à leur excellentissime playlist Non-cis men representation in doom.
L’EP …An Invocation, sorti en 2019, posait déjà les bases d’un univers musical singulier, à classer quelque part entre le sludge, le noise et la shoegaze. Quatre titres à peine, mais qui révélaient une présence musicale et vocale tour à tour suave et rageuse, déclamant des paroles poétiques et des riffs géniaux.
Le premier album de Faetooth, Remnants of the Vessel, est sorti il y a trois jours à peine, mais se positionne déjà haut dans mon cœur, tirant son inspiration du black metal, du cinéma, de la littérature, du folklore et de la mythologie.
Dès septembre, je partageais avec vous le premier single, Echolalia, une tuerie dont le virage quasi-back metal à 3’40 ne cesse de m’engloutir dans ses flammes noires.
Faetooth se tue à répéter qu’iels ne forment pas un « groupe de meufs », dans la mesure où la moitié des personnes qui le composent ne s’identifient pas en tant que femmes. Rien de surprenant à cela : l’art de la métamorphose et de l’ambiguïté est le propre des fées.
À noter : Faetooth soutient notamment le collectif trans For The Gworls! et déclare :
Il est absolument vital d’élever la voix à propos des injustices qui prévalent quand on est musicien·ne — en particulier dans un genre tel que le metal. Hélas, les groupes fascistes, racistes, sexistes et transphobes existent encore et continuent à être soutenus. Encourager et soutenir bruyamment des groupes comprenant des membres queer, trans et BIPOC [black, Indigenous and people of color, c’est-à-dire, en français : des personnes noir·es, autochtones et racisées, NDLR] est particulièrement essentiel étant donné que ces personnes sont gravement sous-représentées dans la musique heavy. Mais elles existent bel et bien et font de la musique incroyable.
Vous aimerez Faetooth si vous écoutez déjà Chelsea Wolfe, Thou, Emma Ruth Rundle, Messa, Ragana.
BlackLab
Style musical : metal stoner psyché et rugueux de sorcières japonaises
BlackLab est un duo de musiciennes d’Osaka qui envoient du gros : Yuko Morino à la guitare et au chant, Chia Shiraishi à la batterie.
Leur nouvel album In A Bizarre Dream est une bombe psychédélique et sinueuse qui nous emmène dans des contrées moins oniriques que cauchemardesques, pour notre plus grand plaisir.
Vous y découvrirez une guitare au son extrêmement saturé et amplifié vous encerclant de toute part ; une production et un mixage lo-fi, cohérents et paradoxalement chiadés ; des voix féminines inquiétantes, alternant chant clair puissant, râles plaintifs et growls malfaisants, mais aussi un imaginaire fantastique pluvieux composé de chats, de corbeaux et de nuages noirs derrière lesquels tente de percer un arc-en-ciel monochrome. On se sent comme à la maison.
Le doom de BlackLab flirte avec du punk hardcore, donnant naissance à des riffs entêtants, presque hallucinogènes, à des hymnes furieux et à une énergie très contagieuse, qui rend l’écoute de leur musique particulièrement jouissive.
Cerise sur le gâteau empoisonné : la participation de Laetitia Sadier de Stereolab sur le titre Crows, Sparrows and Cats. Un accomplissement artistique pour BlackLab, dont le nom est la contraction de Black Sabbath et de Stereolab, leurs deux groupes préférés. Mais BlackLab a su laisser décanter ces influences évidentes pour concocter ses propres sortilèges musicaux.
Indigo Raven
Style musical : doom metal tellurique et païen
Bien que court (37 minutes seulement), l’album Looking for Transcendence du groupe toulousain Indigo Raven vous attrape et ne vous relâche plus jusqu’à l’ultime phrase What makes us humans?
(« Qu’est-ce qui fait de nous des êtres humains ? »), point d’orgue d’une exploration spirituelle et musicale intense, vous laissant cogiter un bon moment.
Le questionnement existentiel et la nostalgie constituent le « sol sacré » de cet opus invocatoire. Indigo Raven réussit bien la fusion entre l’épaisseur d’un metal doom teinté de sludge et de nombreux éléments gothiques, néo-folk voire même indus qui rappellent, par moment, un certain âge d’or des musiques glacées (on pense autant à Paradise Lost et à Anathema qu’à Dead Can Dance ou This Mortal Coil).
Une inquiétude palpable rôde dans la musique d’Indigo Raven. On plonge dans un brouillard épais, formé par une guitare et une basse possédées qui semblent bloquer tous les accès vers l’extérieur. Des percées de lumière subsistent néanmoins grâce au chant puissant et expressif de Julie Docteur (alias Ferale). Maîtresse de cérémonie, elle assène des invocations misanthropes et convoque Dieu au moyen de prières désespérées.
Si Looking for Transcendence peut parfois être rude et sembler monolithique, et si l’on peut s’interroger sur l’utilisation d’un symbolisme néo-chamanique en France, j’ai hâte de voir Indigo Raven, groupe formé en 2019 à peine, continuer à expérimenter et à préciser son propos musical et artistique.
Niveau merch, notons ce superbe t-shirt « Witches against racism » (« les sorcières contre le racisme »), illustré par Ferale, qui non seulement chante dans Indigo Raven, mais est aussi une tatoueuse de talent :
Pour vous procurer ce t-shirt, vous pouvez contacter Indigo Raven à l’adresse e-mail indiquée dans ce post Instagram.
Merci à Marius Heureux, ma complice ès légendes bretonnes, à qui je dois cette découverte musicale.
Dans la même veine
Pour illustrer ma playlist de septembre, j’ai dessiné la fée des dents (je vous en ai un peu parlé dans mon dernier bilan créatif) :
Cela m’a rendue encore plus sensible à la présence des dents lorsque je fais ma veille sur le folklore et l’art (mais je ne dirai pas que « je vois des dents partout », car je ne crois plus aux synchronicités). J’ai d’ailleurs découvert qu’il existe un livre sur le folklore des dents.
Voici simplement deux merveilles dentaires que j’ai découvertes ces derniers jours et que je tenais à partager avec vous !
Forêt des fées en Écosse
L’Écosse me manque chaque jour, et j’ai été très émue que Cicia Hartmann, artiste plasticienne spécialisée dans le recyclage artistique, m’envoie des photos de son dernier voyage dans les Highlands :
Ces petites maisons en bois, accrochées sur des arbres pour servir de refuge aux fées, sont visibles lors du Loch Lommond Faerie Trail, une activité en plein air pour les enfants (petits et grands). Ça me donne la bougeotte, ainsi que des idées créatives pour le jardin, non ?
Quant à Cicia, vous pouvez découvrir ses créations étonnantes en plastique upcyclé sur Instagram.
Louve-garou d’Alsace
En parlant de folklore, Christelle Diale est une illustratrice et artiste alsacienne dont le travail explore de nombreuses thématiques liées au fantastique, à l’occulte ou à l’étrange. Elle aussi adore les monstres (dont les harpies ♥), et leur accorde une place importante dans ses créations.
Son dernier print, sublime, représente une louve-garou et dont la bordure contient plein de petites dents et de champignons. Et ce papier ! Incroyable.
Découvrez le travail de Christelle Diale sur Instagram, et soutenez son travail si vous le pouvez en achetant ses pins, prints et sérigraphies ou en lui offrant un thé sur ko-fi.
La musique est politique
Tant que vous êtes là, j’en profite pour vous annoncer que, désormais, ma curation musicale privilégiera des groupes créés par des femmes, des personnes non-binaires, des hommes trans, des personnes queers dans leur grande diversité, ainsi que des groupes féministes et antifascistes, dans la mesure du possible.
Cette démarche politique guidait déjà mes playlists précédentes, de manière plus ou moins claire. Aujourd’hui, je l’assume et le revendique pleinement.
Cela ne veut pas dire que tous les groupes dont je parlerai seront forcément féministes, queers et/ou anti-fa ; mais cela veut dire que, si j’ai le choix entre un groupe qui l’est, et un groupe qui ne l’est pas, je privilégierai le premier.
En tant qu’artiste, écrivaine et curatrice, moi-même féministe et queer, il est très important pour moi de diriger mon énergie, mon attention, mes créations et mon argent vers ces artistes-là.
Or, les milieux du rock, du metal et des musiques gothiques sont désespérément misogynes, homophobes, transphobes et racistes, en plus de manier un symbolisme cryptofasciste omniprésent, quand il n’est pas carrément fasciste.
J’en avais parlé dans une revue de web, et je le répète : il n’y a aucune « ambiguïté » qui tienne. Si des artistes utilisent des symboles nazis sans proposer un contre-discours clair et critique aidant à déconstruire les idéologies et imaginaires fascistes, il faut alors qu’iels répondent de leur complaisance avec l’extrême-droite.
Outre tout ça, les artistes et groupes masculins cishet (c’est-à-dire cisgenres et hétérosexuels) sont surreprésentés partout y compris dans nos scènes musicales de cœur, et cela pose problème aussi.
J’ai longtemps fait l’autruche devant ces différentes problématiques pour préserver mon plaisir d’écoute, croyant que seule la musique comptait et qu’elle pouvait, devait, rester un sanctuaire préservé des considérations politiques.
Hé bien, je me trompais.
Aujourd’hui, l’idée d’écouter et, pire, de promouvoir des projets artistiques problématiques me rend malade. Certes, j’ai toujours veillé à vous proposer des contenus de qualité, mais mes critères de sélection éditoriale sont désormais bien plus sévères que par le passé.
Si, malgré tout, vous remarquez dans mes playlists ou dans mes billets la présence d’individus ou collectifs aux discours fâcheux, écrivez-moi s’il vous plaît et je ferai le ménage.
Je veux soutenir en priorité des artistes et collectifs engagé·es qui, grâce à leurs œuvres et performances, contribuent à nous pousser dans nos retranchements, à questionner nos croyances et à nous transmettre de la force pour continuer à lutter contre les oppressions systématiques qui entravent nos libertés et celles de nos adelphes.
Je suis heureuse de pouvoir poursuivre cette démarche à vos côtés. Par le passé, jamais je n’aurais osé visibiliser ainsi mes convictions et donné une coloration aussi politique à mon blog.
Si je suis en mesure de le faire aujourd’hui, c’est non seulement parce que j’ai mûri et avancé dans ma réflexion, mais aussi parce que je me sens en confiance en votre compagnie. Je dois d’ailleurs à nos échanges et à vos partages beaucoup de découvertes et de cogitations : je ne pourrai jamais vous remercier assez pour cela.
Maud
1er novembre 2022
Habitant maintenant à Montréal, je le suis inscrite à un groupe Facebook pour suivre l’actualité BM locale.
Parfois, certains postent des morceaux de Baise Ma Hache et de Peste Noire. Mais bon, allez, c’est le BM, il y a toujours des fachos quelque part.
Puis quelqu’un poste un morceau de Feminazgul. Et là c’est le déluge de haine et de moquerie quant au groupe et à ses revendications. Je n’aurais pas dû mais j’ai commenté (en faveur du groupe, tu l’imagines bien) et j’ai eu des réponses à n’en plus finir. J’ai parlé du machisme, de la misogynie, du manque d’inclusion du milieu. Évidemment j’en ai pris plein la figure… même de la part d’une fille qui soulignait que si on est victime (de brutalité ou de viol) c’est qu’on l’avait bien cherché, qu’il y avait des attitudes qui donnent envie…
J’ai abordé mes inquiétudes quant à aller seule à Messe des Morts, un festival BM qui a lieu dans un mois à Montréal. Il y a notamment des groupes indigènes vraiment bien et dont je suis les sorties.
J’ai eu quelques soutiens tout de même, ça m’a fait plaisir. Et bien entendu je doute beaucoup de ma passion pour le genre maintenant…. Je ne sais pas si je vais aller au festival… avant de commenter j’ai changé ma photo de profil pour que je sois moins repérable. Ça me rendrait triste de ne pas y aller. Mais une chose est sure : ma passion pour le BM en a pris un sacré coup.
LN
2 novembre 2022
C’est désolant de lire ce genre d’histoires mais malheureusement pas surprenant. Je trouve ça très courageux de prendre parti et de tenir bon coutre tous ou presque dans ce genre de débat. Beaucoup de soutien.
Marie ☽
23 décembre 2022
Merci beaucoup pour ton témoignage, Maud ! C’est affligeant et nul, et je suis désolée que tu te sois pris tant d’invectives simplement parce que tu soutenais Feminazgul. As-tu pu participer à Messe des Morts en fin de compte ? Je comprends tout à fait que tu aies pu hésiter à y aller.
Maud
24 décembre 2022
J’ai beaucoup hésité… et finalement je suis tombée malade pile pour le festival. Finalement j’aurais bien aimé y aller… ce sera pour une prochaine : dans deux semaines, Ragana passe à Montréal! Trop bien!!!
Marie ☽
24 décembre 2022
Les chances que tu gagnes au change sont grandes 😉 Je te souhaite d’avance un super concert !
LN
2 novembre 2022
Merci pour ces découvertes. Je trouve ce positionnement politique sur la musique très intéressant, noble et enrichissant. Hâte de découvrir les prochaines pépites.
Marie ☽
23 décembre 2022
Merci beaucoup LN, ravie que cela te plaise et t’intéresse !
Stella Polaris
2 novembre 2022
J’ADORE ton macheron ! Et je n’ai pas encore écouté ces recommendations, mais bravo et soutien pour ton positionnement désormais explicite – et tellement cohérent avec toi.
Marie ☽
23 décembre 2022
*rosissante et reconnaissante* Merci, tant ! ♥
Elfya91
2 novembre 2022
Merci pour toutes ces belles découvertes musicales comme toujours! J’attends ces billets et les playlist avec impatience.
Juste parfait.
Ana Maïa
2 novembre 2022
Salut Marie,
En attendant d’écouter tes playlists, je peux déjà te dire que j’adore tes illustrations pour la saison 💜. Surtout ce papillon avec son p’tit crâne, là.
Je suis aussi ravie de voir le travail de Christelle sur ton blog 😊 (et c’est vraiment cool de voir des femmes faire la promotion du travail d’autres femmes).
Je trouve ça très courageux de ta part, je trouve que c’est pas évident de remettre en question ses goûts musicaux, parce qu’ils font appel à ce que l’on ressent. Et en même temps ça me semble tout à fait en accord avec l’évolution de ton blog au fil du temps.
Marie ☽
23 décembre 2022
Merci beaucoup pour ton mot, Maïa ! Ça me fait super plaisir que mes illustrations te plaisent !
Depuis le temps que j’admire le travail de Christelle, c’est la moindre des choses.